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Le blog de Leïla Babès

30 mars 2012

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Le Blog de Leïla Babès 

 

Editos, articles, chroniques, livres, interventions publiques




 

 

Dernier livre :


COUVERTURE 

 

Résumé : Si elle est le fait de courants radicaux qui pervertissent les sources islamiques, la violence qui s’exerce au nom de l’islam, et dont les musulmans sont eux-mêmes les premières victimes, se loge au coeur de la relation entre le religieux et le politique. Pour éclairer la crise qui agite l’univers contemporain de l’islam, une analyse en profondeur des fondements du pouvoir politique, lequel s’est posé, dès les origines, de manière tragique, s’avère nécessaire.

Menant une véritable enquête qui convoque les sources, l’histoire, la science politique, la sociologie et la théologie, l’auteur dénoue le fil de la contradiction qui fonde l’utopie de l’islam. En isolant les principales références qui ont inspiré et continuent d’inspirer les mouvements de contestation politico-religieux, elle dévoile au fil des pages la thèse inédite qu’elle défend : toutes les entreprises menées pour corriger le monde conformément à l’idéal islamique n’ont conduit qu’à détruire l’État et l’espace du politique. Voilà qui pulvérise l’idée que l’islam est une religion politique.

 Cultures d'islam 30.03.2012
Anarcho-théocratie
: Ecouter

 

Articles

 

Politique (France)

-Sarkozy et l’Afrique

-Illusions dangereuses

-Ce que parler en politique veut dire

Quelle liberté de conscience ?  Leïla Babès & Michel Renard

-Ciel, Rachida Dati porte des diamants !

-L'Eglise islamique de France, la politique, Israël

-Apprentis sorciers d'extrême-droite

-Multiple, d'ici, de là-bas, de partout et d'ailleurs


Politique (Maghreb)

-Baptême du voile

-Bouteflika : l'éloge du Prophète comme instrument de légitimation

-Evangélisation en Algérie : liberté de conscience et islamisation

-Bourse d'Alger : le Cac 40 islamique

-Algérie : l'arme obscurantiste du monolinguisme

-Que se passe t-il à Berriane ?

-L'Union du Maghreb Arabe (UMA) : 20 ans déjà, et après ?

-Elections présidentielles en Algérie : un appel des intellectuels algériens

-Algérianesque

-Le mythe kabyle et l'Arabie Saoudite

-Algérie : on n'a pas de pain, mais on a du pétrole !

-Nous sommes tous des Tunisiens

-Le pouvoir algérien est aux abois

 

Politique (Autres pays musulmans)

-Les Frères musulmans : quelle fraternité ?

-Egypte : le citoyen Adel Imam et les islamistes

-Une femme ministre en Arabie saoudite-Egypte : ordures contre cochons

-Chrétiens en terre d’islam, ou arabes, citoyens de confession chrétienne ?

-Coptes d'Egypte : une révolte citoyenne

Politique (Autre)

-Obama, l'homme universel

-Israël/Palestine : L'obligation de paix

-Israël/Palestine : quelles communautés ?

-Lysistrata au Kenya

-L'Afrique, les religions et l'idole

Débats

-Tariq Ramadan contre Abdelwahab Meddeb

-La charia est-elle soluble dans le dialogue ? Mohamed Talbi

-Diatribes anti-islam

-Tariq Ramadan le charismatique

-Réponse à Rédeker

Religions comparées 

-Antisionisme juif

-Le Pape et l'islam. Par-delà la polémique : pour un débat franc et fraternel

-Minorités en terre d'islam et dialogue islamo-chrétien

-Intégristes catholiques


Laïcité

-Sarkozy contre la laïcité-

Sarkozy contre la laïcité 2

-Sarkozy contre la laïcité 3

-La ligue des amis de "l'islam" et la laïcité

-La laïcité à la française a t-elle vévu ?

-Indispositions ramadanesques


Identités

-L'identité islamique européenne selon Tariq Ramadan

-Y a t-il encore une Belgique ?

-Retour sur la Belgique

-Civilités, civisme et citoyenneté

-Naissance d'une identité : les indigènes de la Républque

ou le conglomérat des opprimés de père en fils

-Qu'est-ce qu'être algérien ?

-Peau noire, masques blancs : blanchir à en mourir

-Mourir de dire la honte

Immigration

-Harraga, brûleurs de vie

-Une œuvre maghrébine de France ?

-Binationaux

-Ministère de l'expulsion et de la rétention administrative

-Intégration : et les Français alors ?

 

Sciences sociales

-La sociologie comme éthique politique


Peuples, cultures et civilisations

-Une sous-culture du bruit

-Israël et ses immigrés

-Juifs de France

-Les Coptes, citoyens de seconde zone

Les Algériens et la diététique

-Les Bushmen, un peuple en voie de disparition

-Gens du voyage

-Annaba ou l’outrage à la cité

-Stargate SG1 ou la pulvérisation des Dieux de l'Egypte

-Les prénoms en Algérie : ringard ou tendance ?

-Chrétiens d'Irak en danger

-Les Indiens Tanoï

 

Ethnologiques

-La légende des sept dormants

-La légende des sept dormants 2

-L'oeil, le don et la relation sociale

-Rêveries lilloises

-Coup de boule

-Braderie

-Le géant de Qena

-Marquages, tatouages, scarifications

Les nouveaux masques de la chirurgie esthétique


Terrorisme

-Al-Jazeera ou l’apologie du terrorisme

-Attentats de Bombay : la laïcité, enjeu crucial pour l'Inde


Racisme

-La tentation eugéniste

-Racisme anti-musulman

-Racisme : le privilège du frustré

-My name is Khan

 

Violences faites aux femmes

-Excision : trêve de tartufferies ! 

-Les intégristes, jaloux de la barbe de la Pharaonne

-Sadiques salafistes

-Crimes contre les femmes. Les barbares de Hassi-Messaoud

-Prédicateurs : incitation à la haine des femmes et au viol

-Malakaï kakar assassinée par les Taliban

-Métro du Caire : la femme est un loup pour la femme

-Allez les femmes ! Le gang des sarees roses

-Femmes : l'humour comme arme

-Sadiques Taliban

-Guerre des sexes en Egypte : les fermmes s'organisent

-Voile intégral : la France ne saurait accepter l'inacceptable

-Lubna al-Hussein : de victime à accusatrice

-Speakerines en voile intégral

-Le supplice des femmes de Hassi-Messaoud continue...

-Une fatwa anti-ménage

-Amina ou l'hiver arabe des femmes


 

Femmes et religions

-Dieu aime t-il les femmes ?

-L'obsession du voile

-Voile...

 

Figures féminines

-Marie dans l'islam : la femme nommée, modèle de perfection


Conversions

-La force d'un mythe : de l'évangélisation en Kabylie


Mystiques

-Anorexie et ascèse chez les femmes mystiques musulmanes et chrétiennes

-Le Ramadan comme jihad


Machismes

-Des hommes, des vrais ? Voire…


Coups de gueule

-Frustrations anonymes

-Riposte Laïque, ou les nouveaux pourfendeurs de l'islam

-Mariée à huit ans

 

Autour de mes livres

-L'utopie de l'islam. La religion contre l'Etat

-Recensions, interviews et articles de presse (en cours...)


Aphorismes

-Aphorismes

 

Manières de table

-Manières de table

 

Dessins d'humoristes algériens

-Dessins

 

Hommages

-Portraits

-Hommage à Naguib Mahfouz

-Hommage à Germaine Tillion

 


 

 

 

 


 


 

 

 


 



 


 


 


 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 



 

 

 

 

 


 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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23 mars 2012

Amina ou l’hiver arabe des femmes

 

Amina ou l’hiver arabe des femmes

 

Lorsqu’une société s’obstine à appliquer des lois injustes et désuètes, en totale inadéquation avec la modernité et le progrès dont elle manifeste par ailleurs tous les signes, elle en dévoile du même coup toute l’absurdité. Ce que le calvaire d’Amina El Filali a fait éclater au grand jour, par-delà la tragédie personnelle, c’est le caractère aberrant des normes qui légitiment les discriminations dont des femmes sont victimes.

Le suicide d’Amina, cette adolescente marocaine de 16 ans, le 10 mars dernier, fut comme l’immolation de Mohamed Bouazizi et de tant d’autres laissés pour compte, un cri de désespoir et de révolte, sa réponse ultime à une société qui l’a forcée à se marier avec son violeur. Quelle absurdité en effet que cette loi qui donne au violeur le droit de violer encore et encore et pour la vie entière, en toute légalité, sa victime, qui elle, n’a pas voix au chapitre, parce qu’elle elle est mineure. Dire que c’est supposé réparer le préjudice commis à l’encontre de la victime. Quant à la sanction, elle n’est en réalité qu’une parade offerte au coupable pour qu’il puisse échapper à la prison.

La tragédie d’Amina fait éclater au grand jour tout ce que cette loi a d’inhumain et de monstrueux : d’un côté, le calvaire d’une jeune fille abusée, livrée à son violeur, avec la mort pour seul horizon, de l’autre, l’impunité pour ce même violeur, laissé en liberté alors qu’au lieu d’appeler les secours pendant qu’elle était agonisante, il l’a traînée jusqu’au domicile de sa famille et battue pendant le trajet. Autant dire que cet article 475 du code pénal qui exempte le violeur d'emprisonnement s’il consent à épouser sa victime est un permis de tuer, en plus d’être un permis de violer.

Et pourquoi ? Parce que la société n’a pas encore renoncé à cette rengaine patriarcale, vieille de plusieurs millénaires, qui considère que la perte de la virginité est un déshonneur familial. Autrement dit, sous le couvert de protéger la fille, en réalité, c’est le groupe qui se protège lui-même, ou se figure qu’il se protège. Ce que toute cette hypocrisie révèle en fin de compte, c’est le déni de viol, comme préjudice et crime contre la femme, puisque la seule chose qui importe au groupe, c’est la peur que la perte de la virginité ne soit un obstacle au mariage, autrement dit, à l’honneur du clan, et qu’importe si la fille est sacrifiée sur l’autel de toute cette mascarade. Les remords du père d’Amina, qui raconte que c’est sous la pression de sa femme qui redoutait les moqueries et la honte, qu’il est allé voir le juge, le montrent bien.

Il reste à espérer que l’émotion suscitée par la tragédie d’Amina au sein de la société marocaine, la mobilisation des réseaux sociaux sur internet et des associations féminines comme l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), Anaruz, un réseau d’aide aux victimes d'agressions sexuelles, et Woman-Shoufouch, le mouvement de lutte contre le harcèlement, seront autant de pressions pour abroger l’article 475, et contribuer à faire avancer la cause des femmes.

La tragédie d’Amina vient nous rappeler à quel point les sociétés arabes restent empêtrées dans leurs contradictions en matière de statut de la femme. D’un côté, elles proclament l’égalité des sexes dans leurs constitutions, et d’un autre, elles appliquent des dispositions civiles et pénales qui avilissent les femmes et les oppriment.

A l’heure où tous les observateurs s’interrogent sur les intentions des islamistes qui ont triomphé sur la scène politique à la faveur des révolutions arabes, il y a tant de questions auxquelles ces gouvernements doivent répondre. Mais parmi les questions cruciales que le destin tragique de toutes les Amina qu’on sacrifie comme des marchandises avariées, je ‘en retiens qu’une seule. S’il est vrai que de nombreuses coutumes et dispositions qui asservissent les femmes ne trouvent aucune justification dans la religion, pourquoi les islamistes ne font-ils jamais rien pour les condamner ? Pourquoi ferment-ils les yeux sur les crimes d’honneur, le harcèlement dans les rues, les agressions sexuelles ou les violences conjugales ? Pourquoi ne s’élèvent-ils jamais contre le fait que les femmes sont les boucs-émissaires tout désignés des peurs archaïques les plus irrationnelles de la société ?

La tragédie d’Amina n’est rien d’autre que le refus de reconnaître que le viol est un viol commis à l’endroit d’une femme qui a été agressée, abusée contre sa volonté. Lorsque la société aura reconnu que le viol n’est pas un acte sexuel intime et une affaire de famille, mais un crime qui l’engage toute entière, elle aura mis fin à l’une des discriminations les plus abjectes.

 

Leïla Babès le 21/03/2012

 

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14 janvier 2012

L'utopie de l'islam

Dernier livre : novembre 2011


COUVERTURE 

 

Résumé : Si elle est le fait de courants radicaux qui pervertissent les sources islamiques, la violence qui s’exerce au nom de l’islam, et dont les musulmans sont eux-mêmes les premières victimes, se loge au coeur de la relation entre le religieux et le politique. Pour éclairer la crise qui agite l’univers contemporain de l’islam, une analyse en profondeur des fondements du pouvoir politique, lequel s’est posé, dès les origines, de manière tragique, s’avère nécessaire.

Menant une véritable enquête qui convoque les sources, l’histoire, la science politique, la sociologie et la théologie, l’auteur dénoue le fil de la contradiction qui fonde l’utopie de l’islam. En isolant les principales références qui ont inspiré et continuent d’inspirer les mouvements de contestation politico-religieux, elle dévoile au fil des pages la thèse inédite qu’elle défend : toutes les entreprises menées pour corriger le monde conformément à l’idéal islamique n’ont conduit qu’à détruire l’État et l’espace du politique. Voilà qui pulvérise l’idée que l’islam est une religion politique.


http://www.nordeclair.fr/Rencontres/P_tits_dej_Nord_eclair/2011/11/26/leila-babes-un-certain-regard-sur-l-isla.shtml :

"Leila Babès : un certain regard sur l'islam"
Publié le samedi 26 novembre 2011 à 06h00


 
Le dernier livre de Leila Babès, L'utopie de l'islam. La religion contre l’Etat, est édité chez Armand Colin. Photos Hubert Van Maele


Professeur de sociologie des religions à la faculté catholique de Lille, Leila Babès scrute l'islam, dans sa modernité et ses traditions. Une érudite qui se frotte aussi aux questions d'actualité et pose un regard sans concessions sur certaines dérives. Elle vient de publier un nouveau livre, L'utopie de l'islam. L'occasion d'évoquer avec elle l'actualité du printemps arabe, l'application de la loi sur le voile intégral, l'enseignement de l'histoire des religions...
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PROPOS RECUEILLIS PAR FLORENCE TRAULLÉ > florence.traulle@nordeclair.fr
 
D'où êtes-vous originaire ?
 Je suis née en Algérie, franco-algérienne et citoyenne du monde.
Je suis issue d'un milieu à la fois libéral et versé dans le savoir religieux. Je descends d'une lignée de théologiens. Une famille où régnait beaucoup de tolérance. Les femmes n'y ont jamais été brimées, elles ont fait leur scolarité. J'ai eu ce privilège.

Enfant, que vouliez-vous faire plus tard ?
 J'avais envie d'écrire. Petite, je m'essayais à la poésie, aux nouvelles. La France a toujours été en moi. La langue, la culture française, c'était presque inné. La France, c'était l'univers de la culture.

Vous êtes riche de ce mélange des cultures ?
Bien sûr ! Mais dire que je suis d'une double culture serait réducteur. Mes références sont multiples, vont au-delà. Je n'ai pas envie d'être réduite à une double appartenance, surtout si ça passe par l'identitaire, un concept qui me gêne beaucoup.

Pourquoi ?
Je n'aime pas me sentir prisonnière d'une identité. La mienne est multiple, plurielle. Elle peut être mouvante. Elle n'est pas définitive. Je n'appartiens à aucune communauté en particulier.

Je suis sociologue des religions mais aussi ethnologue et politologue. S'intéresser aux religions, c'est s'intéresser aux cultures. Les religions sont des cultures portées par des peuples, des coutumes, des normes, du changement social. Ce qui m'intéresse, c'est comment les peuples se situent par rapport à ce changement. Leur rapport à la modernité. Ainsi, pour l'islam, avec ses traditions au pluriel et la façon dont les choses évoluent par rapport à la modernité, au changement, à l'Occident.

Tout sauf un monde figé ?
La tradition, elle-même, n'est pas figée. Elle n'est pas monolithique. Elle est faite de controverses, de contradictions. Il faut tourner le dos à une perception de l'islam figée, où les musulmans seraient amalgamés par une culture, une tradition de façon homogène. Non, les musulmans ne sont pas déterminés par des schémas, des images. Il y a une pluralité de sens, de références qu'il faut essayer de restituer.


L'école publique doit-elle enseigner les religions, toutes les religions ?
Je milite pour une connaissance laïque des religions portée par un personnel formé, des spécialistes, et surtout pas des religieux, comme cela se fait en Belgique. Il faut aller dans le sens du vivre ensemble, mobiliser les jeunes pour qu'ils apprennent les différences tout en restant attachés aux valeurs de cohésion, c'est-à-dire celles qui les rassemblent. Dire qu'il y a un socle de valeurs communes, comme la République, la citoyenneté, auxquelles tous puissent s'identifier, tout en reconnaissant les différences le droit de cohabiter. Sinon, c'est le communautarisme qui ne permet pas à ce creuset de se faire.

Comme en Angleterre ?
Tout à fait. La France a une tradition républicaine extraordinaire. Il ne faut surtout pas la remettre en question. Elle est à préserver, à consolider. On ne réalise pas la chance d'avoir en France ce modèle d'intégration et j'ai bien peur qu'on ne fasse pas ce qu'il faut pour le préserver, le défendre. À trop jouer sur les différences, on en vient à diviser les gens et çà, c'est un vrai danger.

Comment aviez-vous vécu le débat sur l'identité nationale ?
C'était un débat absurde, mal venu, et qui n'avait aucune pertinence. Être français, c'est un vécu, une tradition, une culture, pas une identité. Une identité française, je ne sais pas ce que ça veut dire.

Comment expliquez-vous que l'on entende peu les musulmans dits modérés ?
Je n'aime pas ce mot "modéré". Il est très stigmatisant car il définit par opposition à extrémiste ou intégriste. Le repère, le référent, ce sont alors les extrémistes et, par rapport à eux, on va chercher un qualificatif pour définir les autres qui représentent quand même la majorité. Pourquoi ne pas dire simplement "les musulmans" ? Ils ne parlent pas collectivement car ils ne sont pas dans une approche militante de l'islam, de sa visibilité, du désir de reconnaissance. Ce sont des croyants qui vivent leur islam de façon banale, anodine, invisible et moi je dis : vive l'invisibilité !

Pourquoi ce livre « L'utopie de l'islam » ?
La question épineuse de la place du politique dans l'islam m'a toujours intéressée. La relation entre la sphère politique et la sphère religieuse. Ce qui m'intéresse, c'est de comprendre les ressorts de l'exercice de la violence dans l'islam : pourquoi, comment, quelles sont les logiques qui président à cet usage de la violence dans cette relation entre le religieux et le politique ? J'ai essayé d'aller au fond des choses à partir des textes des origines de l'islam et j'ai vu que la question s'est posée très vite.
À partir de là, j'ai essayé de tirer le fil pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui, d'où vient cette violence, quels sont, s'ils existent, les textes qui la légitiment ? Qu'est-ce qui pousse des individus, au nom de l'islam, à vouloir investir l'espace du politique pour exercer le pouvoir ? Au nom de quoi ? Quelles références les poussent à faire ça ? Qu'est ce qui relie la religion musulmane au pouvoir ? Pourquoi cette relation problématique avec la sphère du politique ?
Depuis toujours, il y a eu des mouvements de contestation politique autour de l'État, de l'exercice du pouvoir, avec des références puisées dans la religion. Et, en même temps, qu'est-ce qui différencie les courants contemporains, y compris les groupes qui pratiquent la violence terroriste ? Qu'est-ce qui les sépare de cette tradition contestataire de l'islam ?

« LE SOUFFLE DU PRINTEMPS ARABE TOUCHE AUSSI L'OCCIDENT, D'AUTRES PAYS »


Tunisie, Égypte, Libye, ailleurs encore même si les régimes ne sont pas tombés, le printemps arabe signe, pour Leila Babès, la révolte des peuples. Elle ne croit pas qu'à terme les islamistes seront les gagnants de cette démocratisation en marche.


Comment avez-vous vécu les débuts du printemps arabe, il y a presque un an ?  
Avec beaucoup d'intérêt et d'excitation en même temps mais, comme cela a commencé par des émeutes, avec un sentiment de peur pour ces manifestants, du fait de la répression. Puis, l'espoir a pris place, peu à peu. En Tunisie, quand ça a duré au-delà d'une semaine, c'était incroyable. On n'avait jamais vu ça. C'était le signe que quelque chose se passait, véritablement.

Comment comprenez-vous l'arrivée en tête du parti islamiste tunisien aux élections d'octobre ?
Ils bénéficiaient des références d'autres partis puissants, ailleurs. Il y a aussi la tradition de militantisme que d'autres n'avaient pas et, en Tunisie, la répression subie par les leaders d'Ennahda qui ont fait de la prison. Un certain crédit moral leur a profité mais il est très difficile d'évaluer le poids du choix idéologique là-dedans. Cela dit, un tiers seulement des Tunisiens a voté pour eux...

Aviez-vous approuvé l'intervention militaire en Libye ?
Face au massacre des Libyens, il n'y avait pas d'autre choix.

Avez-vous été surprise par la décision d'instaurer la charia dès la mort de Kadhafi ?
Oui et non. Je m'attendais à quelque chose de cet ordre là mais pas que cela soit annoncé juste après la mort de Kadhafi. Le fait que cela se fasse avec l'exemple de la polygamie et du divorce, j'ai trouvé cela ridicule et décevant.

Vous êtes inquiète pour la suite ?
Non, parce que le printemps arabe n'est pas fini. Le processus ne fait que commencer. En Libye, il faut attendre de voir ce qui va se passer. C'est trop tôt. Il y a une vraie résistance en Tunisie, en Égypte. Les islamistes ont profité d'un printemps arabe qui s'est fait sans eux et sans référence aucune à la religion. Ils ne seront jamais les gagnants de cette démocratisation en marche. Elle est en train de se faire. En Syrie, les massacres continuent... C'est une tragédie. Je suis très admirative devant le sacrifice de ce peuple qui continue de manifester. Et en Égypte aussi où les Égyptiens se font tirer dessus, écraser par des chars. Et ils persistent. Il y a vraiment quelque chose qui dépasse tout ce que l'on pouvait imaginer. Et ça s'est passé pratiquement partout, à des degrés différents mais j'observe que le souffle du printemps arabe touche aussi l'Occident, d'autres pays. On est vraiment en face d'une révolte des peuples. Ils veulent se prendre en main. Ils en ont marre qu'on décide pour eux. Ils exigent leur souveraineté.

L'Algérie est restée en dehors de ce mouvement. Pourquoi ?
 L'Algérie n'a jamais cessé de bouger, il y a constamment des manifestations, des émeutes, mais ça n'a pas pris les mêmes formes qu'ailleurs. Tous les appels lancés à manifester à Alger ont été contenus par des dizaines de milliers de policiers. Et sans doute, le traumatisme de toute la décennie noire du terrorisme pèse. Les Algériens sont sans doute un peu fatigués car ils n'ont jamais cessé de se soulever.

« LE VOILE INTEGRAL, C'EST MONTRER LE STATUT DE RECLUSE DANS L'ESPACE PUBLIC »


Et pour Leila Babès, « c'est insupportable ! ». Elle s'est déjà longuement exprimée sur le voile dans un précédent livre (« Le voile démystifié ») et rappelle ici que dans l'islam classique, le voile intégral est un phénomène marginal.


Comment expliquez-vous que l'on voit davantage de femmes voilées en France ? De quoi cela témoigne-t-il ?
Des nouvelles générations arrivent, nées ici, dont les soeurs, cousines, mères, ont déjà été exposées à cette tendance à prendre le voile pour une obligation. En tout cas, c'est ce qu'on leur a dit. Elles sont touchées par les prédicateurs dans les quartiers qui atteignent leurs pères, leurs frères qui vont à la mosquée. Cela tient donc en partie à un phénomène démographique mais les raisons sont multiples. Il peut y avoir des motivations identitaires pour se démarquer. Ça peut être lié à l'adolescence, à la recherche de soi, au poids de l'environnement. Et aussi un effet de communautarisation qui vient du ghetto : on a mis des gens de même appartenance dans les mêmes quartiers. Les raisons, donc, sont multiples.

Pensez-vous que la loi contre le voile intégral dans l'espace public soit véritablement applicable ?
La loi contre les signes religieux à l'école est bien passée car on ne demandait pas grand-chose. Le voile intégral, c'est un substitut de la claustration. C'est une façon de montrer le statut de recluse dans l'espace public et ça, c'est insupportable ! Par rapport à la loi, ce qui me semble le plus pertinent est de dire qu'une personne qui avance masquée dans la rue, sans identité donc, peut être n'importe qui. Et donc, cela peut-être dangereux. L'espace public est un espace du vivre ensemble. Un espace de cohabitation pour tout le monde, c'est-à-dire pour des gens que l'on peut identifier. Le voile intégral est antinomique de l'espace public comme lieu d'échanges et de rencontres. On ne peut pas parler à une personne qui est masquée. Et sur le fond, avec le voile intégral, on est dans quelque chose, du point de vue de la norme islamique, qui est excessif. Le Coran fustige la démesure et dit qu'il faut garder la mesure en toute chose. C'est pour cela que l'on dit que l'islam est une religion du juste milieu. Le Coran met beaucoup l'accent sur l'importance de ne pas aller vers les extrêmes. Avec le voile intégral, on est dans l'extrême. Ceux des religieux qui, pour justifier le port du voile intégral, vont chercher des justifications pour étayer leurs normes obscures sont des inconnus, qui n'ont pas de statut de reconnaissance. Qui sont en marge. Dans l'islam classique, le voile intégral est un phénomène marginal.


27 janvier 2011

Le pouvoir algérien est aux abois

 

Le pouvoir algérien est aux abois

 

Décidément, le pouvoir algérien doit être aux abois, si l’on en juge par la démonstration de force qu’il a déployée samedi dernier, et la répression qui s’en est suivie, pour barrer la route à une simple manifestation pacifique pour la démocratie, organisée par le RCD, le parti du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie. 

Il faut dire que c’est un véritable arsenal antiguérilla urbaine que les autorités ont mis en place dès vendredi, pour quadriller Alger : des dizaines de véhicules blindés, des barrages à l’entrée est de la ville, des camions à jet d’eau, des forces antiémeute, des policiers en civil, et des hélicoptères survolant le ciel d’Alger. L’objectif : empêcher les manifestants d’accéder à la place du 1° mai, point de départ du mouvement, qui devait prendre la direction du parlement. De fait, au moins 300 personnes s’étaient retrouvées bloquées par des centaines de policiers casqués et équipés de matraques, de boucliers et de bombes lacrymogène, devant le siège du parti, rue Didouche Mourad, et trois bus transportant des manifestants de Kabylie ont été bloqués dès vendredi soir. Même les navettes et les trains de banlieue ont été suspendus.

A voir toute cette parade musclée, on se dit que le pouvoir n’a nul besoin de recourir aux experts de MAM, la ministre française des affaires étrangères qui avait tenté de voler au secours de Benali et de ses homologues algériens, et connaissant l’arrogance de ces derniers, c’est même à se demander si la démonstration n’avait pas justement pour but de le montrer. Ce que révèle surtout ce vent de panique qui s’empare du pouvoir, ce sont deux choses : la méthode dissuasive par l’intimidation et sa détermination à écraser dans la répression tout mouvement de contestation, et son obstination à répondre par le mépris et les manœuvres politiciennes habituelles aux aspirations profondes des Algériens, comme le fait d’envoyer des contre-manifestants scander le nom de Bouteflika et des slogans hostiles au RCD, à seule fin de discréditer le mouvement.

Le mépris avec lequel le préfet d’Alger avait signifié au RCD son refus d’autoriser la manifestation, illustre bien la nature foncièrement autoritaire et despotique d’un pouvoir agonisant qui ne connaît que la force brutale comme méthode de communication. En plus de déclarer la marche illégale, en vertu de l'état d'urgence en vigueur depuis 1992, le communiqué de la wilaya, rendu public le jeudi 20 janvier et repris par l’ENTV dans son JT de 20 heures
, demandait aux citoyens « de ne pas répondre aux provocations destinées à porter atteinte à leur tranquillité, leur quiétude et leur sérénité ». A croire que les Algériens, à voir toute cette redondance, ont besoin qu’on leur dise les mots de différentes manières, pour comprendre. Frapper d’illégalité, discréditer, diviser, désolidariser, réprimer et accuser : telles sont les bonnes vieilles méthodes que le pouvoir, dont la grande faiblesse est de sous-estimer le peuple qu’il prétend diriger depuis des décennies, use, jusqu’au bout.

Tel le chien qui montre les dents lorsqu’il a peur, le pouvoir a décidé de faire encercler les manifestants devant le siège du parti, déclenchant des affrontements qui ont fait plusieurs dizaines de blessés parmi les policiers et les militants, dont le chef du groupe parlementaire Athmane Mazouz et le chef régional du RCD à Bejaia, Reda Boudraa, sans compter les arrestations, parmi lesquelles celle de Arezki Aïter, le député RCD de Tizi Ouzou. On apprend aussi que des affrontements ont éclaté aux Isser dans la wilaya de Boumerdès entre les forces de sécurité et des manifestants qui se rendaient à Alger.

Pour autant que cette marche ait été étouffée par le dispositif policier, elle aura réalisé trois avancées importantes : d’abord elle a été la première initiative politique organisée, bravant l’interdiction de manifester, et fédérant autour du RCD, le PLD, le Parti pour la laïcité et la démocratie, des étudiants de Tizi Ouzou, des signataires d’une pétition appelant au changement démocratique, le collectif de l’Algérie pacifiste, un collectif de jeunes qui s’active sur internet pour l’organisation de marches, un comité de chômeurs du sud, et des syndicalistes de diverses organisations autonomes. Ensuite, elle a exprimé des revendications démocratiques claires : levée de l’état d’urgence qui interdit toute manifestation, libération des détenus emprisonnés pendant les émeutes, et reconnaissance des libertés individuelles et collectives. Quant aux manifestants qui brandissaient des drapeaux algériens et tunisiens, ils ont donné libre cours à leur mécontentement en criant : « Etat assassin », mais aussi  « Jazaïr Hourra, Jazaïr Democratiya » Algérie libre, Algérie démocratique»).

Et enfin, l’initiative a débouché sur la création d’une « fédération nationale des forces du changement », qui aura notamment pour mission de préparer une marche le 9 février prochain, date anniversaire de la proclamation de l'état d'urgence en Algérie en 1992, afin d'en demander la levée.

Sur le versant idéologique, on ne s’étonnera pas que les dirigeants aient fait appel à la seule arme qu’ils connaissent : la religion, pour tenter de stopper le phénomène de l’immolation par le feu qui se répand dans le pays. Comme ils l’ont fait pour les malheureux harraga, les imams, en clergé obéissant, ont décrété que le suicide vaudrait à leurs auteurs le Feu éternel, comme si le feu terrestre qui les a consumés n’avait pas de sens, comme si les raisons qui ont conduit ces jeunes, ces pères et cette mère de famille à s’immoler, n’avaient pas d’intérêt à leurs yeux. Invoquer Dieu pour légitimer l’injustice, c’est vieux comme le monde, mais dans le cas présent, c’est le comble de la honte, non loin du pays où Mohamed Bouazizi est devenu le héros de tout un peuple, au moment même où le roi Abdallah de Jordanie a pris des mesures sociales, entamé une série de négociations avec les opposants, et s’est rendu en personne dans les régions les plus défavorisées.

Les gouvernants algériens ont toujours méprisé le peuple, comme les élites d’ailleurs. Leur haine des intellectuels est à la mesure du système qu’ils ont forgé, décennie après décennie : par le mensonge, l’absence totale de transparence, la brutalité, la grossièreté, l’arrogance et l’infantilisation du peuple, la prédation et le pillage total des ressources du pays, la destruction culturelle et intellectuelle et l’instrumentalisation constante de la religion.

Mais le comble de ce sinistre système totalitaire, le plus arrogant de tous, c’est le président actuel, qui croit qu’il n’y aucune limite à l’exercice du pouvoir : ni l’âge, ni la maladie, ni la Loi, ni même la carence en légitimité, comme le montrent les documents de Wikileaks qui viennent d’être publiés, et qui révèlent l’existence d’un rapport de l’ONU, non publié, dénonçant les fraudes lors de l’élection présidentielle du 9 avril. Lors de son accession au pouvoir en 1999, Bouteflika avait même soutenu sur l’antenne d’Europe 1, que Boumédiène l’avait désigné comme successeur par une lettre-testament qu’il a laissée avant sa mort. Une information impossible à vérifier, faute de preuve, mais la prétention suffit à illustrer la rapacité du personnage qui croit que le pouvoir appartient de droit à un clan, qu’il est un butin de guerre qui se transmet par testament.

François Mitterand écrivait, dans Le coup d’état permanent, « Un dictateur n’a pas de concurrent à sa taille, tant que le peuple ne relève pas le défi ». Comme les Tunisiens, les Algériens doivent se dire que l’échéance présidentielle de 2014, c’est bien trop loin.

 

Leïla Babès le 26/01/2010

 

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20 janvier 2011

Nous sommes tous des tunisiens

 

Nous sommes tous des tunisiens

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Ainsi donc, le tyran de Tunis, celui qui a régné d’une main de fer durant 23 ans, s’est sauvé comme un vulgaire voleur, ce qu’il était au demeurant. Ce qui vient de se passer est à couper le souffle. En 48 heures, tout a basculé. Rien n’y a fait : les concessions qui se sont succédées les unes après les autres, depuis la promesse de ne pas se présenter aux présidentielles de 2014, jusqu’au limogeage du gouvernement, n’ont pu ébranler la détermination du peuple tunisien à se débarrasser une fois pour toutes, d’un régime absolutiste et corrompu. A la stupeur générale, et tout particulièrement des Algériens qui ont toujours tenu leurs voisins, il faut appeler un chat un chat, pour des poltrons efféminés. Comme quoi, il faut se méfier de l’eau qui dort.

Pourtant, dans la foule amassée sur l’avenue Habib Bourguiba, la seule vue de cette banderole dressée par une jeune tunisienne, qui disait à Benali : « Dégage », le pire camouflet pour le dictateur, annonçait sa fin. La révolution du jasmin est une leçon de bravoure et de maturité politique, pour l’ensemble des peuples, la première révolution démocratique arabe. Et plus que tout, ce qui force l’admiration, c’est le civisme et la sagesse des Tunisiens qui ont su tirer les meilleurs enseignements de ces années de plomb. En témoigne l’organisation des citoyens de tous âges en comités de vigilance, pour protéger leurs familles et leurs biens, nettoyant les rues, dressant des barrages pour fouiller les véhicules, à la recherche des hommes armés qui pillent et terrorisent la population, prêtant main forte à l’armée en lui remettant les coupables. En d’autres circonstances, ailleurs, l’image d’un peuple armé de gourdins et faisant le travail de la police, pourrait donner froid dans le dos, mais pas en Tunisie où les fauteurs de trouble ne sont pas de simples citoyens, mais des éléments de la police, les BOP, les Brigades de l'ordre public, que Benali avait transformées en milice entièrement dévouée à sa cause. Ce sont eux qui sont à l’origine de la confusion et de l’insécurité qui ont régné durant les trois jours qui ont suivi la destitution de Benali, commettant les pillages, détruisant tout sur son passage, terrorisant les citoyens, dans l’espoir de faire acclamer le retour de son maître.

Mais comme tous les dictateurs, Benali ne connaît pas son peuple. Même les jeunes manifestants qui ont attaqué et détruit les résidences des neveux de Leïla Trabelsi, la femme la plus haïe de Tunisie, n’ont pas touché aux autres propriétés voisines, ne ciblant que celles qui appartiennent à la famille comme ils disent pudiquement ; mais le terme est à lui seul éloquent, n’est-ce pas ainsi qu’on appelle la mafia ? Car la famille, plus encore que celle de Benali, les Trabelsi, agissait comme si le pays entier était sa propriété privée. Par-delà les exactions commises par ces deux familles, alliées pour le pire, la liste des actes de corruption en tous genres, de spoliation, de contrôle d’une grande partie de l’économie (immobilier, banques, tourisme, transports, industrie et médias) donne le vertige.

Il faudra bien plus qu’une chronique pour analyser toutes les retombées de la première révolution démocratique du monde arabe. Et c’est peu dire. Tout a commencé avec le suicide de ce jeune diplômé de Sidi Bouzid, qui a choisi le mode le plus spectaculaire, celui qui symbolise le plus le désespoir, en s’immolant par le feu, parce qu’à la détresse du chômage qui l’avait réduit à vendre des légumes à la sauvette, s’est ajoutée l’injustice de la privation de son misérable gagne-pain. Il y a seulement quelques jours, qui aurait pu penser, en voyant Benali au chevet de Mohamed Bouazizi, agonisant dans ses bandelettes sur ce lit d’hôpital, que le jeune homme était le tombeur de l’un des plus féroces dictateurs arabes ? Ce seul acte de détresse allait déclencher un mois de manifestations, libérant la parole, trop longtemps contenue par des décennies de répression, de surveillance policière, de verrouillage total. Dès lors, la contestation ne pouvait qu’être radicale. Les Tunisiens, comme tous les peuples opprimés, connaissent bien les ruses des régimes dictatoriaux, les fausses promesses, les manipulations et les discours infantilisants. Ils savent que même après la chute du régime, l’extraordinaire contribution d’une armée qui a refusé de tirer sur eux, qui les a protégés et rétabli l’ordre, les décisions du gouvernement provisoire de supprimer le ministère de l’information –de la censure et de la répression en vérité-, de libérer les détenus politiques, de proclamer le droit à la liberté d’expression, d’autoriser le retour des opposants, rien n’est acquis. Leur détermination à éliminer du paysage politique toute trace de l’ancien régime, le parti politique de Benali, comme les ministres qui ont été confirmés dans leurs postes, a conduit à la démission des ministres issus de l’opposition et de la société civile, fraichement nommés dans ce gouvernement de transition qui peine à rassurer les Tunisiens, jusqu’aux élections, prévues dans six mois.

Reste deux questions fondamentales : l’effet de domino qui pourrait se propager à d’autres pays arabes, et la possible entrée en scène des islamistes.

Sur le premier point, outre l’Algérie, les manifestations et les émeutes qui se sont produites au Yémen, en Jordanie, en Egypte et en Libye, sont le présage d’un véritable mouvement de contestation démocratique qui s’annonce et qui va bien au-delà d’une émeute du pain à laquelle certains ont cru bon de le réduire, en anticipant avec des baisses du prix des denrées de première nécessité. Les dirigeants algériens qui ne veulent décidément rien comprendre à la grave crise que traverse ce pays et qui s’obstinent à considérer les citoyens comme de vulgaires tubes digestifs, ont importé à la hâte 600.000 tonnes de blé. Un pays où en une semaine, six hommes et une femme se sont immolés par le feu ; certains ont pu être sauvés, d’autres ont succombé, tel Mohcin Bouterfi, un père de 37 ans, qui a commis cet acte de désespoir à Boukhadra, près de Tebessa,
au moment où le maire de sa ville à qui il demandait un logement et du travail, lui a répondu : « Tu peux t’immoler par le feu ». Il faut croire que le geste de détresse de Mohamed Bouazizi tend à devenir un nouveau mode de suicide, un acte de désespoir et une forme de contestation radicale, puisqu’on enregistre un cas en Mauritanie et deux cas en Egypte.

Sur le versant des manifestations, les plus spectaculaires sont celles qui ont eu lieu au Yémen, où le président, au pouvoir depuis 32 ans, et réélu en septembre 2006 pour un nouveau mandat de sept ans, pourrait bien obtenir une présidence à vie grâce à un amendement de la Constitution. Parti du campus de Sanaa, sponsorisés parun millier d'étudiants et des militants des droits de l'homme ont appelé les peuples arabes à se soulever contre leurs dirigeants.

En Jordanie, où les syndicalistes et les partis d’opposition ont manifesté devant le parlement, et demandé pour certains la démission du premier ministre, les revendications portaient sur la hausse des prix et la nécessité de mettre en place des réformes sous l’égide du roi Abdallah. La forte présence du Front d'action islamique (FAI), une branche des Frères musulmans et principal parti d'opposition, et dont le secrétaire général tentait de prendre la tête du mouvement, n’était pas du goût des syndicalistes.

Au Caire, où des citoyens avaient manifesté en solidarité avec les Tunisiens et pour exprimer les mêmes revendications comme partout ailleurs, les Frères musulmans, qui n’ont pas encore digéré leur récente éviction des législatives, exultaient, sur fond de slogans comme « L’islam est la solution ».

En Tunisie, la grande inconnue reste le statut du principal parti d’opposition islamiste, appartenant aussi aux Frères musulmans, dont le leader, en exil, Rachid Ghannouchi, n’a pas été convié à faire partie du gouvernement. On a pu voir les manifestants tunisiens expulser de leurs rangs les quelques barbus qui tentaient de se joindre à eux. A Bab el Oued, l’ancien numéro 2 du FIS, Ali Belhaj, a subi le même sort. Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe est triplement inédit : une révolution démocratique en Tunisie, un mouvement de révolte de même nature dans plusieurs pays simultanément, et qui plus est, sans aucun rapport avec les idéologies islamistes. L’expérience fondatrice de la Tunisie sera déterminante. La tradition laïque de ce pays et la conscience politique des tunisiens sont des atouts considérables pour jouer la partie la plus invraisemblable qu’un pays musulman puisse jouer : réussir à faire muer les islamistes en démocrates convaincus.

En attendant, pendant que l’espoir renaît dans tous ces pays, l’image d’un Benali dans son avion, errant d’un aéroport à l’autre, avant de se voir refuser l’atterrissage en France, le pays qui l’a le plus protégé, doit donner des sueurs froides à ses semblables.

 

Leïla Babès le 19/01/2011

 

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12 janvier 2011

On n'a pas de pain, mais on a du pétrole !

 

Algérie : on n’a pas de pain, mais on a du pétrole !


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Face à la révolte de tout un peuple, le pouvoir algérien répond, comble du mépris et de l’arrogance, par le silence. Il aura fallu plusieurs jours d’émeutes dans une vingtaine de départements, trois morts, 800 blessés et plus de 1100 arrestations,  pour que les plus hautes autorités daignent enfin sortir de leur mutisme. Même Ben Ali s’était rendu au chevet du jeune homme qui s’était immolé par le feu à Sidi Bouzid, et a procédé à un remaniement ministériel. En limogeant son ministre de la communication, le président tunisien entendait-il sans doute le sanctionner pour n’avoir pas pu bloquer à temps l’accès aux réseaux sociaux sur internet, seul moyen pour les Tunisiens de se tenir au courant des évènements, et de communiquer, faute d’information. Mais enfin, il a au moins donné le change, déclaré qu’il comprenait les conditions de vie des manifestants, même s’il a accusé une minorité d'extrémistes et d'initiateurs rémunérés, selon ses propres termes, d'avoir été à l'origine des actes de violence. Même son de cloche à Alger, mais ce n’est qu’à l’issue du conseil des ministres, qui s’est tenu samedi, que le ministre de l’intérieur a reconnu enfin la légitimité des revendications, tout en désignant des bandes de voyous pour les actes de violence et de vandalisme. 

Telle la montagne qui accouche d’une souris, le conseil des ministres a supprimé pour une durée d’un an, les taxes sur le sucre et l’huile, en exonérant de 41 %  les charges imposées aux importateurs, producteurs et distributeurs de ces produits de base, dont le prix, comme c’est le cas pour la farine, le café et les légumes, a pratiquement doublé au début du mois. Encore faut-il que l’ensemble de ces intermédiaires acceptent de réduire les augmentations auxquelles ils ont procédé pour contrebalancer les nouvelles dispositions qui les obligent à fournir des factures.

Voilà pour les réponses, dont la frilosité et la technicité sont à la mesure d’un système, rongé par la gabegie, la spéculation sur les produits de première nécessité, et d’un gouvernement qui se désintéresse du bien-être de ses citoyens. Il s’en désintéresse tellement qu’il a tout fait pour minimiser l’ampleur du mouvement de contestation et le degré de désespoir des Algériens. Tout juste a-t-il concédé qu’il y avait un problème de hausse excessive de ces produits, qu’il impute aux grossistes. D’ailleurs, avait déclaré le ministre de l’intérieur, que le mouvement de protestation n’ait touché ni les commerçants ni les fonctionnaires, c’es là le signe que le mécontentement n’est pas général. C’est tout juste si les émeutes qui ont éclaté un peu partout dans le pays n’ont pas été qualifiées de « chahut de gamins », comme on a pu l’entendre durant le soulèvement général d’octobre 1988.

Les maîtres d’Alger ont décidément une perception infantilisante du peuple algérien. C’est ainsi que mercredi, alors que les affrontements faisaient rage un peu partout, ce sont les ministres de la jeunesse et des sports d’une part, et du commerce d’autre part, qui ont réagi, le premier en appelant les manifestants à dialoguer de façon pacifique et à réaliser ce que l’Algérie a accompli en un laps de temps record, et le second, en tentant de les amadouer avec des promesses pour un retour à la normale. Bref, à les entendre, il ne s’agissait là que de quelques jeunes, excédés par la hausse des prix.

Ces dénégations cachent d’autant plus mal la gravité de la situation que le mouvement actuel n’est qu’une forme radicalisée et généralisée d’un malaise récurrent. D’abord parce que des émeutes, il s’en produit régulièrement dans plusieurs villes du pays, comme à la fin du mois dernier, dans plusieurs quartiers d’Alger. L’année dernière, les forces de l’ordre sont intervenus 112 878 fois pour des émeutes et des troubles à l’ordre public. Le plus souvent, des soulèvements ont lieu lors de l’attribution de logements sociaux, mais aussi à cause du chômage, de la précarité de la grande majorité des jeunes, du ras-le bol permanent face aux injustices, à la corruption, à la hogra, comme ils disent. Rien d’étonnant à ce que le désespoir pousse certains jeunes à braver les forces de l’ordre, ou plus simplement à ce suicide quasi-collectif des harraga.

Comme cela s’est passé en Tunisie, à Sidi Bouzid avec ce jeune diplômé qui s’est immolé par le feu parce que la police menaçait de confisquer le petit commerce ambulant auquel il était réduit, c’est le quartier populaire de Bab el Oued qui a été l’épicentre la fronde. Et là aussi, on a noté que mardi, une rumeur avait circulé dans ce quartier d’Alger, faisant état d’une rafle ciblant les vendeurs à la sauvette qui occupent les trottoirs, comme un peu partout dans le pays. L’augmentation récente du salaire des policiers de 50% a fait basculer ces derniers, déjà décriés pour n’être pas capables de protéger les citoyens, du côté des nantis, aggravant ainsi la fracture sociale.

L’autre argument qui apporte un démenti cinglant aux propos des responsables politiques, est la lucidité des Algériens, tous unanimes : pourquoi tant de misère, pourquoi cette paupérisation croissante qui atteint de plein fouet les faibles revenus et les classes moyennes, alors que le pays est riche de ses ressources en gaz et en pétrole, qu’il détient des milliards de réserves, que des sommes colossales sont investies dans des projets d’investissement à long terme et que la corruption gangrène le système, au plus haut sommet de l’Etat ? Et, comble de l’iniquité, c’est la prison qui attend les harraga qui ont échoué à passer de l’autre côté de la Méditerranée, comme si la traversée de tous les dangers ne suffisait pas. Certes, le caractère misérabiliste des slogans, donne l’impression qu’il ne s’agit là que d’une émeute de la faim, d’un mouvement apolitique : « Zadou fi zit wa sucre, chaâb kareh rah habb y kassar » : ils ont augmenté les prix de l’huile et du sucre, le peuple en a marre, il veut casser. Pourtant, la réponse de l’un de ces manifestants, résume à elle seule la motivation profonde de la contestation : « Oui, j’ai cassé de l’Etat ! Mais combien l’Etat a-t-il cassé ? ». Et même si les adultes n’approuvent pas les actes de vandalisme et les pillages, notamment des lycées et des collèges, ils jugent la contestation légitime, et la comprennent.

On a parlé abondamment du caractère autocratique du régime tunisien, du manque de liberté d’expression, de l’insignifiance de l’opposition et du verrouillage de toute forme d’expression démocratique. C’est vrai qu’un véritable climat de terreur règne dans ce pays, rendant impossible la moindre critique, la moindre revendication sociale, comme le montre notamment le recours des opposants à l’anonymat, y compris sur internet. On comprend dès lors la rage des Tunisiens lorsqu’ils dénoncent les méthodes de la chaîne Al-Jazeera dans l’utilisation des images des émeutes, qui passaient en boucle, alors que les médias tunisiens, muselés par le pouvoir, étaient silencieux. De ce point de vue là, les manifestants tunisiens ont fait preuve d’une grande audace en bravant les forces de l’ordre, en dénonçant publiquement la corruption et les pots-de-vin, en appelant même au départ du président.

Mais que dire alors de l’Algérie ? Les manifestations sont interdites depuis 20 ans, les partis d’opposition ont été laminés, les islamistes sont au pouvoir, légifèrent et contrôlent l’éducation et la morale publique, la société civile est en panne, les intellectuels dramatiquement absents, les organes de presse officiels muselés, -passant des documentaires animaliers pendant les graves crises qui secouent le pays, comme dans le sketch de Fellag-, les journalistes, les seuls qui ont jusque-là fait preuve de résistance, sont empêchés d’exercer leur métier en raison de l’article 144 bis du code pénal, lequel permet de les poursuivre pour diffamation et de les jeter en prison. Comment s’étonner dès lors de cette profonde dépolitisation d’une jeunesse dont la grande majorité est dans le dénuement total ?

On rappellera, à l’adresse de monsieur Hachemi Djiar, le ministre de la jeunesse, qui demandait aux manifestants de dialoguer de manière pacifique, qu’il s’agit là d’un procédé démocratique, et que pour que les citoyens fassent l’apprentissage des procédés démocratiques, encore faut-il en donner l’exemple au plus haut sommet du pouvoir. Il suffirait pour commencer, d’entendre cette question que les manifestants ont posée à leur manière ; comment se fait-il qu’un pays aussi riche soit aussi le pays des harraga ? Elle constitue pour les uns le comble du désespoir, et pour les autres, le comble de la honte.

Leïla Babès le 12/01/2011

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6 janvier 2011

Coptes, une révolte citoyenne

 

Coptes d’Egypte : une révolte citoyenne

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On le savait depuis l’attentat de la cathédrale Sayyidat al-Najat de Bagdad, commis le 31 octobre dernier, le groupe terroriste qui se fait appeler « l'Etat islamique d'Irak », menaçait de s’en prendre aux chrétiens, visant tout particulièrement les Coptes d’Egypte, accusés de séquestrer deux femmes de prêtres coptes qui se seraient converties à l'islam. Promesse tenue, avec l’attaque menée contre l’église Al-Qiddissine d’Alexandrie dans la nuit du Nouvel An, alors que les fidèles sortaient de la messe, faisant 21 morts et 79 blessés. L'église des saints figurait d'ailleurs sur une liste d'une cinquantaine de lieux de culte coptes, publiée début décembre par un site d'Al-Qaïda, dans plusieurs villes d’Egypte, mais aussi en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Le danger qui pèse sur cette communauté, déjà frappée par des attaques en 2006 et en janvier 2010, à l’heure de la messe, et qui peut craindre le pire, à l’approche de la célébration du Noël orthodoxe jeudi et vendredi, justifie donc amplement le mouvement de colère qui s’est manifesté pendant les funérailles, qui ont rassemblé plus de 5000 personnes. Du jamais vu. Sur fond de slogans, la foule a rejeté les condoléances du président Moubarak, présentées par le secrétaire du patriarche copte orthodoxe Chénouda III, encerclant la voiture du grand Mufti d’Al-Azhar, Ahmad al-Tayeb, qui rendait visite à celui-ci. Une autre manifestation, rassemblant un millier de Coptes, a également eu lieu devant le ministère des Affaires étrangères, mais les incidents les plus violents à Alexandrie, comme au Caire, ont visé les forces de l’ordre faisant dans la capitale, 45 blessés parmi les policiers, lesquels ont répondu par des tirs de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc.

On l’aura compris, ce qui s’exprime là n’est pas seulement une réaction d’indignation et de douleur d’une minorité religieuse, mais un véritable mouvement de révolte contre un Etat jugé incapable de protéger une partie de ses citoyens, comme l’a exprimé le synode des évêques d’Alexandrie qui a accusé les autorités de laxisme. Il faut dire que les Coptes eux-mêmes, traditionnellement favorables au pouvoir en place, sont aujourd’hui plutôt divisés sur leurs options politiques. Le patriarche Chenouda III, un partisan du président, et qui a précisé que la célébration de la messe de Noël aura lieu, a formulé des revendications qui vont au-delà du cadre sécuritaire, en appelant l’Etat à mettre fin aux discriminations légales, comme l'obligation légale d'obtenir une autorisation présidentielle pour construire des églises.

Par-delà la tragédie, par-delà même la menace qui s’étend à l’ensemble des Coptes, en Egypte comme ailleurs, ces évènements donnent le sentiment d’une mutation positive, aussi timide soit-elle.

Il y a d’abord cette attitude des Coptes, résolument revendicative. Certes, ce n’est pas la première fois que des tensions interconfessionnelles s’expriment. Mais nonobstant les débordements, que les autorités coptes imputent à des éléments extérieurs, jamais auparavant les Egyptiens chrétiens n’avaient exprimé publiquement leur opposition aux autorités avec une telle rage, dans un pays où la liberté de manifester peut coûter cher. De ce point de vue là, les forces de l’ordre ont eu une attitude exemplaire. Le mot d’ordre était plutôt de faire en sorte d’empêcher que des islamistes s’en prennent aux manifestants. Le chef de la sécurité du Caire a même déclaré que ces manifestations étaient une saine expression de colère « positive et pacifique », de citoyens contre le terrorisme.

L’autre point saillant, est le mouvement de solidarité qui s’est exprimé dans les milieux musulmans. Je ne parle pas là des condamnations émanant des dignitaires religieux, et même des Frères musulmans, mais de la société civile, comme en témoignent les éditoriaux, mais aussi les réactions de responsables, d’artistes et d’intellectuels, qui se sont exprimés sur les chaînes de télévision. Le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, a même déclaré « nous sommes tous coptes car copte veut dire égyptien ». Plus important encore, de simples citoyens musulmans ont exprimé leur solidarité avec les Coptes sur internet et par d’autres canaux, et se sont engagés à assister à la messe de minuit de la Noël pour servir de boucliers, en cas d’attaque.

Il est vrai que dans l’ensemble, les musulmans égyptiens ne sont pas fondamentalement hostiles aux Coptes. Mais jamais auparavant, on n’avait assisté à un tel mouvement de solidarité, comme on a pu le voir avec la participation de musulmans aux manifestations, brandissant des Coran. Face à la menace terroriste et au spectre de l’éclatement de la société, les Egyptiens se sentent solidaires.

Au fond, ce qui se donne à voir là, c’est une attitude citoyenne. Même Ahmad al-Tayeb, le grand Mufti d’Al-Azhar, l’a exprimé à sa manière. Certes maladroitement, en s’en prenant au Pape, au risque de créer l’incident diplomatique.  

Benoît-XVI avait déclaré : « face aux discriminations, aux abus et aux intolérances religieuses, qui frappent aujourd'hui en particulier les chrétiens (...), les paroles ne suffisent pas, il faut l'engagement concret et constant des responsables des nations ». A quoi le mufti, qui a qualifié cette déclaration d’ « ingérence inacceptable » a répondu : « je demande pourquoi le pape n'a pas appelé à la protection des musulmans quand ils se faisaient tuer en Irak ». On passera sur cette dernière partie de sa réponse qui en a appelé une autre, de la part des autorités du Vatican, lesquelles ont finalement préféré mettre un terme à cette polémique naissante ; ce qu’il importe de souligner, c’est qu’en parlant d’ingérence, le grand Mufti d’Al-Azhar a laissé entendre que les Coptes étaient des citoyens égyptiens avant d’être chrétiens.

Mais comme le disent les Coptes eux-mêmes, les paroles ne suffisent pas. Le message est double, en direction de l’Etat et des responsables musulmans : une égalité en droits qui passe par une reconnaissance pleine et entière, et une critique radicale des idéologies islamistes qui ont ravagé la société égyptienne, et ont fait le lit du terrorisme.

 

Leïla Babès le 05/01/2010

 

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13 novembre 2010

Chrétiens d'Irak

 

Chrétiens en terre d’islam, ou arabes, citoyens de confession chrétienne ?

 

En pleine guerre civile, les Irakiens avaient réussi à chasser les funestes criminels d’Al-Qa’ida de leur pays. Hélas, il faut croire que ces fanatiques qui ont trouvé depuis, d’autres terres à brûler, y sont revenus, tels des charognards attirés par l’odeur du sang. La série des attentats meurtriers qui ont secoué Bagdad entre le dimanche 31 octobre et le mardi 2 novembre, le montre. Comme toujours, des quartiers shiites ont été ciblés, et les attaques ont notamment visé des restaurants, faisant des dizaines de morts et de blessés. Il y a deux jours, ce sont les trois villes shiites de Kerbala, Nadjaf et Bassora qui ont fait l’objet de nouveaux attentats, faisant 31 morts et une centaine de blessés.

Mais c’est l’attentat commis contre la cathédrale Sayidat al-Najat (Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours), à Bagdad, visant la communauté chrétienne, en pleine messe, à la veille de la Toussaint, qui retient le plus l’attention. Il y a longtemps qu’Al-Qa’ida, comme tous les islamistes qui partagent avec elle le rejet catégorique de toute idée de pluralité confessionnelle, poursuit son projet de purification. L’invasion américaine a été à l’origine d’une véritable hémorragie, et les chrétiens d’Irak ne représentent plus que 500 000.  

En Irak, en Egypte et même dans les territoires occupés, les chrétiens sont victimes de discriminations, objet d’attaques, poussés à l’exil, chassés de cette terre qui est la leur, et où ils comptent parmi les premières communautés chrétiennes, bien avant l’apparition de l’islam. Et voilà que des criminels, étrangers qui plus est –si l’on en croit les témoignages-, viennent pour les exterminer au cœur même de leur foi, pendant leur prière à Dieu. Si le terrorisme est par nature lâche, parce qu’il s’attaque à des victimes innocentes, il n’y a pas d’acte plus lâche, plus vil, ni plus méprisable que l’attentat de Sayidat al-Najat.

Pure folie ? Fanatisme ? Certes, même si ce n’est pas la première fois qu’elle s’en prend aux chrétiens, -les crimes de Abu Mus’ab al-Zarqawi sont encore dans les mémoires-, Al-Qa’ida a affirmé que désormais les chrétiens étaient des cibles légitimes, ce qui équivaut à une déclaration de guerre. Le communiqué est intervenu après l'expiration de l’ultimatum de 48 heures, envoyé à l'église copte d'Egypte, accusée de séquestrer deux femmes chrétiennes qui se seraient converties à l’islam. Les rumeurs sur la brève disparition de Camilia Chehata en 2004, et de Wafa Constantine, en juillet dernier, imputée à leur conversion réelle ou supposée, ont ravivé les tensions entre musulmans et chrétiens, provoquant de violentes manifestations des deux côtés, les uns et les autres s’accusant mutuellement de conversions forcées et d’enlèvement. Les menaces de la branche d’Al-qa’ida qui se fait appeler l'Etat islamique d'Irak, contre les chrétiens d’Egypte et de tout le Moyen-Orient, et sa revendication de l’attentat de la cathédrale de Bagdad, relient donc les deux affaires. La violence inouïe du communiqué, qui parle d’idolâtres, du chien de l’Eglise égyptienne, et du tyran du Vatican, est le signe d’une escalade dans la haine des chrétiens et dans le projet de purification religieuse. Pourtant, un détail insolite, montrant toute l’étendue de l’absurdité des terroristes islamistes, mérite d’être relevé. C’est l’injonction faite par l’un des membres du commando, à un fidèle chrétien, pour qu’il se convertisse à l’islam, pour qu’il meure en croyant. Ce qui frappe, ce n’est pas tant l’idée de tuer un homme qui vient de se convertir, -depuis le temps qu’Al-Qa’ida et ses émules tuent des musulmans, ce n’est pas une nouveauté-, la question est : en quoi cela change t-il les choses, puisque pour les terroristes, cela ne fait guère de différence qu’on soit chrétien ou musulman, les seuls musulmans qu’ils reconnaissent comme tels, étant ceux qui rejoignent leurs rangs ? Or, la question touche au salut supposé de la victime. Si elle se convertit, même si c’est sous la contrainte, alors qu’elle va mourir, elle aura l’assurance d’obtenir une faveur dans l’Au-delà. C’est dire que ces fanatiques prétendent non seulement savoir qui est croyant et qui ne l’est pas, mais en plus ce que Dieu décidera au Jugement dernier. Ce qui ressort de cette espèce de délire eschatologique, c’est l’ignorance crasse des tueurs, leur méconnaissance de la théologie, la seule théologie qu’ils pratiquent étant la théologie de la mort.

Cela étant dit, à qui profite le crime ? En plus des exécutions menées par les membres du commando, le massacre des fidèles qui a suivi l’intervention des forces de l’ordre, pose des sérieuses questions, quant à l’éventualité de complicités, et d’une implication pure et simple, de milieux officiels. Au-delà de la question de savoir, qui exactement est impliqué dans la tuerie, et si comme le disent certains chrétiens, Al-Qa’ida a bénéficié d’une complaisance, sinon de complicités réelles, il reste à se demander pourquoi les musulmans qui disent non à ce funeste projet de nettoyage, ne le manifestent pas publiquement et fermement.

Si comme ne cessent de le dire les chrétiens d’Irak, la seule menace qui pèse sur eux est celle des islamistes, alors qu’attendent les musulmans pour leur donner raison ?

Dans une tribune publiée dans le magazine Marianne, l’historien et ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi, s’indignait, à juste titre, de la tragédie des minorités chrétiennes en terre d’islam. On passera sur les passages, franchement excessifs, sur le fait que le christianisme soit la religion la plus bafouée dans le monde et sur le fait que les chrétiens, en pays laïques, se font tout petits, de peut de heurter les autres croyants, autrement dit les musulmans. Il se félicite par ailleurs de ce que le Vatican ait enfin fini par s’émouvoir du sort des chrétiens d’Irak, et ait convoqué un synode d'évêques de la région. On rappellera au passage, que parmi les innombrables Eglises d’Orient, peu d’entre elles sont affiliées au catholicisme romain ; autrement dit, le pape n’est pas le chef religieux de toutes ces Eglises. L’auteur, se dit donc très choqué de voir qu’au lieu d’imputer leurs malheurs aux islamistes et aux pouvoirs de leurs pays qui les oppriment, ces prélats arabes s’accordent à désigner Israël. Comment ne pas lui donner raison sur le fond ? Le fait est qu’il a échappé à Elie Barnavi un paramètre de taille : les groupes dont il parle ne sont pas des chrétiens qui vivent en terre d’islam, mais des Arabes, citoyens irakiens, égyptiens ou palestiniens, qui confessent la religion chrétienne. C’est bête, mais c’est comme ça. Vis-à-vis d’Israël, ils partagent en cela les mêmes opinions que leurs concitoyens, les Arabes musulmans. On peut le regretter, mais c’est comme ça, et s’il fallait critiquer ce point de vue et le dénoncer, on est bien forcé de l’étendre à l’ensemble de ces populations, quelque que soit leur confession, y compris parmi les Juifs et parmi les Israéliens.

Or, et c’est à cela que je veux en venir, Elie Barnavi le dit sans en relever toute la pertinence : les Irakiens chrétiens sont solidaires de leurs concitoyens et frères musulmans, et ils ne sont pas fous, contrairement à ce qu’il affirme, au point d’ignorer que ce sont les islamistes qui les attaquent. Au contraire, ils attribuent clairement l’exode de ces dernières années aux attaques terroristes. Ce que je veux dire, c’est que face à la résistance d’une communauté, certes rendue exsangue par l’exil, mais qui continue de croire qu’elle vit dans son pays, sur sa terre, en paix avec les musulmans, on est en droit d’attendre que ces derniers leur manifestent un peu plus de solidarité. Si d’aventure l’exil devait continuer, les musulmans auront bien plus à y perdre qu’à y gagner, en capitaux, en pluralité et en vivre-ensemble. Et par-dessus tout, ils seront coupable de n’avoir rien fait pour laisser leur terre, le berceau du christianisme, se vider de ses chrétiens.

 

Leïla Babès le 10/11/2010

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4 novembre 2010

La honte

 

 

Mourir de dire la honte

 

Chacun de nous a au moins une fois dans sa vie, éprouvé de la honte. Et pourtant, jamais auparavant, cette question qui touche à notre profonde humanité, n’avait fait l’objet d’une étude systématique, avant la parution il y a quelques semaines, chez Odile Jacob, du dernier livre du neuropsychiatre Boris Cyrulnik, Mourir de dire la honte. Le thème de la honte est traité de façon si magistrale qu’il nous éclaire presque immédiatement sur tant d’autres questions. Mais la contribution de ce livre est bien trop grande pour ne pas s’y arrêter. D’abord parce qu’il est question de l’un de ces sentiments qui introduit d’emblée le rapport de l’individu au groupe. Ensuite parce que Boris Cyrulnik, le père de la résilience, a fait là encore, œuvre d’humaniste, en nous livrant d’une manière inédite et simple à la fois, des clefs susceptibles d’aider les hommes à guérir et à grandir.

Avec l’isolement et l’absence de parole, la honte constitue le troisième obstacle à la résilience. Et en matière de honte, Boris Cyrulnik sait de quoi il parle, pour l’avoir éprouvée au plus profond de lui-même. Ce juif orphelin confié à l'Assistance publique à la fin de la Seconde Guerre mondiale, raconte comment à l’âge de 7 ans, il s’est senti envahi par la honte, lorsqu’il a vu dans les yeux de la bienfaitrice qui l’avait recueilli et qui voulait le laver et le vêtir, le dégoût, devant son corps sale, maculé de boue. La honte, il l’a éprouvée parce qu’il était sale, et aussi parce qu’il était obligé de cacher son identité de juif, comme les quelques dizaines de milliers d’enfants juifs français, protégés par des familles de chrétiens. Or cette honte, il devra la porter encore, parce qu’à la Libération, personne ne voulait entendre le récit de ces enfants juifs, parce que la France voulait tourner la page. Boris Cyrulnik a réussi à se reconstruire, au-delà du possible, et à aider les autres. Ce fut loin d’être le cas pour l’écrivain italien, Primo Levi, un survivant de la Shoah, un juif qui n’a pas eu la chance d’être protégé, comme ce fut le cas pour les enfants juifs France. Le célèbre chimiste qui, reconnaissant parmi ses gardiens à Auschwitz un de ses collègues, comprend lorsque celui-ci ne daigne même pas le regarder, qu’il ne plus faire partie de la condition humaine. Lui non plus n’a pas été écouté lorsqu’il a voulu témoigner, car même ses proches ont ressenti de la gêne face à l’horreur qu’il a vécue, eux aussi ont évité son regard. « Un monde de glace s'est refermé sur moi », disait-il. En 1987, il se suicidait, sans avoir jamais pu partager sa honte.

Il en fut autrement pour deux autres rescapées des camps de la mort, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle. La première, la célèbre ethnologue de l’Algérie, était une militante active du réseau de résistance du Musée de l'Homme, et elle a surmonté son traumatisme en faisant dans les camps, son travail d’ethnologue en observant ses bourreaux, pour aider ses codétenues à dépasser la peur et la honte. Après la Libération, Geneviève de Gaulle a tenté de donner un sens à cette épreuve en s’engageant dans ATD Quart Monde, pour venir en aide à ceux qui ont faim. Mais enfin, surtout, elles savaient pourquoi elles avaient été arrêtées, Primo Lévy, non.

Le même phénomène se produit semble t-il avec les victimes de génocide, comme les Rwandais, qui perpétuent le cycle du silence, parce que leurs proches, leurs amis et les membres de leur groupe, ne sont pas disposés à les écouter.

La honte qui empêche de parler, c’est celle des victimes de tortures, et bien sûr celle aussi des victimes d’abus sexuels. A la question de savoir pourquoi une victime innocente a honte de la violence qu’elle a subie au point d’être incapable de porter plainte, Boris Cyrulnik répond qu’il faut pour cela se sentir suffisamment fort pour supporter l’image renvoyée à l’autre, de sa propre souillure, et qu’il faut que l’autre soit disposé à partager sa douleur. Si ces deux conditions ne sont pas réunies, la victime rentre dans son terrier, comme un gibier. 

Il y a en fait trois facteurs qui rendent possible la résilience, face à la honte : 1) avoir grandi, avant le traumatisme, dans un milieu protecteur ; être capable d’exprimer sa honte en y mettant des mots, et recevoir le soutien de son entourage.

Le neuropsychiatre, le spécialiste de la résilience, est capable de débusquer la honte générée par l’évènement traumatique majeur, et d’aider la victime à surmonter son épreuve. Mais le sociologue, l’ethnologue ou le simple observateur, s’intéresse surtout à la honte, non pas comme traumatisme individuel, mais comme fait social. La honte n’a de sens que parce que c’est une invention collective, le sentiment d’humiliation, d’anéantissement de soi, provoqué par la transgression d’une norme. Toutes les cultures, tous les milieux sociaux, fabriquent de la honte : la honte d’être une fille, la honte d’être pauvre, la honte d’être de telle origine, de telle couleur de peau, la honte d’être handicapé, la honte d’être laid, la honte d’être obèse, la honte d’être illettré, etc.

Pour le neuropsychiatre, la honte ne naît que parce que nous donnons à l’autre le pouvoir de nous juger, et pour le sociologue, si cela est vrai, c’est surtout parce que fondamentalement, c’est dans la représentation que l’autre a de nous que nous éprouvons ce sentiment.

Une chose est sûre, si la honte est de nature sociale, elle désocialise en même temps, elle désintègre l’individu.

Boris Cyrulnik évoque l’expérience de personnes issues de l’immigration, en pointant sur deux attitudes extrêmes : d’un côté, le repli sur les origines, le refus de l’intégration et la victimisation ; et de l’autre, l’intégration, l’oubli des origines, et le risque de trahir sa famille et de se voir rejeter par le groupe. Deux cas limites, mais qui tous deux sont générateurs de souffrance, la solution résidant dans un équilibre entre les deux.

On conclura cette brève lecture sur une note plus positive. Le neuropsychiatre rappelle que le sentiment de honte n’est pas toujours destructeur, et qu’il est porteur d’une force compensatrice qui peut être le moteur d'une réussite sociale, nonobstant le risque chez certains, de basculer dans la mythomanie.

En quoi la honte peut-elle être une force positive ? Parce qu’elle apparaît très tôt, vers  4 ans. A cet âge, l’enfant commence à se représenter le monde mental de l'autre, différent du sien, et ce stade le prépare à l’empathie, le respect de l’opinion et du sentiment d’autrui, point de départ de la morale. Or, les pervers n'ont jamais honte, ils ignorent ce sentiment parce qu’ils pensent avoir toujours raison, seul compte leur désir. C’est le cas des terroristes, que Boris Cyrulnik a expertisés.

 

Leïla Babès le 03/11/2010

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1 octobre 2010

Peau noire, masques blancs

 

Peau noire, masques blancs : blanchir à en mourir

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Il n’est pas meilleur exemple pour illustrer la domination symbolique de l’Occident sur les peuples du sud, que le recours par les femmes à la peau noire, aux crèmes de blanchiment. Ce qui donne son caractère total à cette forme d’asservissement, ce n’est pas seulement le besoin  de copier l’autre, jugé supérieur, en gommant sa couleur de peau, mais le danger que représente ces produits pour la santé de ces millions en femmes africaines, mais aussi indiennes, et autres.

Le risque n’est pas seulement circonscrit au cancer de la peau, on parle aussi d’hypertension, de diabète, d’insuffisance rénale, de stérilité, de problèmes osseux, de leucémie, et de dysfonctionnement des glandes surrénales, sans compter l’addiction, car la peau reprend sa couleur naturelle dès l’arrêt de l’utilisation du produit. Les experts qui tirent la sonnette d’alarme sur le danger des crèmes de blanchiment, estiment qu’elles pourraient être la deuxième cause de mortalité après le paludisme, dans des pays comme le Sénégal.

Les actifs responsables de ce fléau sont les corticoïdes et les stéroïdes contenues à forte dose dans ces crèmes, qui détruisent la barrière protectrice de la peau, et l’exposent à toutes sortes d’infections. Le principe est simple : comme une crème éclaircissante sans danger ne modifie pas la couleur de la peau, les fabricants recourent à toutes sortes de produits hautement abrasifs, donc interdits, comme l'hydroquinone, qui décolore la peau, mais provoque aussi l’eczéma, et la dépigmentation, ces taches blanches, souvent irréversibles.

Ces produits sont fabriqués dans des pays comme la Côte d'Ivoire, le Nigeria, l'Inde, les anciennes républiques soviétiques, et même dans des pays européens, de manière illégale. Certaines de ces femmes fabriquent elles-mêmes des cocktails à beau d’eau de javel lorsqu’elles n’ont pas d’argent ou lorsqu’elles ne trouvent pas ces crèmes, vendues le plus souvent sous le manteau. Pour ne citer que quelques marques, il y a Body Light, Skin Light, Vite Fait, Fair & White, Always, Halog, Clovate, Clairissime, Bio Claire, Mekako ou X-White Plus.

En France, de nombreuses condamnations ont été prononcées contre des commerçants pour vente illégale de produits toxiques, mais à en juger par l’étendue du marché, il faut croire que les campagnes de sensibilisation menées ça et là restent insuffisantes. 

Comment en en est-on arrivé là ? Tout a commencé dans les années 1960, aux Etats-Unis, lorsqu’on remarqua, par hasard, l’effet éclaircissant de l'hydroquinone sur les peaux noires des ouvriers de l'industrie du caoutchouc. Il n’est guère difficile d’imaginer ce qu’une telle découverte a pu représenter pour une population afro-américaine, à l’époque de Martin Luther King et des luttes antiraciales. Ces produits se sont ensuite propagés dans le continent africain puis dans le reste du monde, des Philippines à la Corée du Sud, de l'Inde à Taïwan. L’industrie des crèmes de blanchiment représente aujourd'hui près de 10% du marché cosmétique en Asie. Lorsqu’on sait que l’Inde à elle seule compte un milliard 200 000 habitants, on imagine l’étendue du business. Selon les estimations d’une firme de marketing, les femmes à la peau noire ou foncée dépensent près de six fois plus que les Blanches en produits de soins pour la peau ou les cheveux.

Evidemment, le rapport colonial entre dominants et dominés a largement contribué à l’instauration d’une hiérarchie des valeurs dans la couleur de peau. Frantz Fanon ne s’y était pas trompé dans Peau Noire, masques blancs, en décrivant cette névrose collective qui fait perdre au noir son âme en le poussant à mettre le masque du blanc pour se hausser à son niveau.

On avait pu penser, à l’époque où il commençait à blanchir, qu’un Michael Jackson, entendait revêtir cette couleur indéfinie, ni noire ni blanche, censée représenter la neutralité universelle. Hélas, volontairement ou non, on l’a vu suivre la pente irréversible d’un processus d’inversion extrême, en même temps que se dessinaient peu à peu les traits monstrueux de la caricature humaine. A coup sûr, Fanon était loin d’imaginer qu’un jour le masque blanc ne serait plus une simple métaphore, et qu’il s’incarnerait physiquement à ce point.

Le schéma colonial est-il seul en cause ? Rien n’est moins sûr. C’est parce que les hommes du sud préfèrent les blanches, que les femmes à la peau noire se décolorent la face. L’équation est simple. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir que dans la plus grande industrie cinématographique du monde, en Inde, un pays où la majorité des gens sont foncés, toutes les stars féminines, les actrices en vue, les héroïnes, ont la peau claire. Et lorsqu’elles sont un peu basanées, leur teinte disparaît comme par miracle sous les couches de maquillage. Cela est d’ailleurs vrai d’une manière moins frappante, pour les hommes. L’une des publicités, auxquelles participent largement les stars de Bollywood, le montre bien : un homme qui se voit repoussé par la jeune fille qu’il courtise, recourt à la crème de blanchiment, son teint s’éclaircit, et voilà que celle-ci le trouve séduisant.

Pour autant que ce type de message explicite illustre un cas limite de haine de soi, la blancheur de la peau n’en reste pas moins un attribut essentiel de la représentation de la beauté féminine chez de nombreux peuples du sud. Le blanchiment en symbolise toute la violence pathétique, comme le montre le déni de ces femmes qui refusent de reconnaître qu’elles se décolorent la peau, préférant parler de maquillage.

 

Leïla Babès le 29/09/2010

 

 

 

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