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Le blog de Leïla Babès
27 janvier 2011

Le pouvoir algérien est aux abois

 

Le pouvoir algérien est aux abois

 

Décidément, le pouvoir algérien doit être aux abois, si l’on en juge par la démonstration de force qu’il a déployée samedi dernier, et la répression qui s’en est suivie, pour barrer la route à une simple manifestation pacifique pour la démocratie, organisée par le RCD, le parti du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie. 

Il faut dire que c’est un véritable arsenal antiguérilla urbaine que les autorités ont mis en place dès vendredi, pour quadriller Alger : des dizaines de véhicules blindés, des barrages à l’entrée est de la ville, des camions à jet d’eau, des forces antiémeute, des policiers en civil, et des hélicoptères survolant le ciel d’Alger. L’objectif : empêcher les manifestants d’accéder à la place du 1° mai, point de départ du mouvement, qui devait prendre la direction du parlement. De fait, au moins 300 personnes s’étaient retrouvées bloquées par des centaines de policiers casqués et équipés de matraques, de boucliers et de bombes lacrymogène, devant le siège du parti, rue Didouche Mourad, et trois bus transportant des manifestants de Kabylie ont été bloqués dès vendredi soir. Même les navettes et les trains de banlieue ont été suspendus.

A voir toute cette parade musclée, on se dit que le pouvoir n’a nul besoin de recourir aux experts de MAM, la ministre française des affaires étrangères qui avait tenté de voler au secours de Benali et de ses homologues algériens, et connaissant l’arrogance de ces derniers, c’est même à se demander si la démonstration n’avait pas justement pour but de le montrer. Ce que révèle surtout ce vent de panique qui s’empare du pouvoir, ce sont deux choses : la méthode dissuasive par l’intimidation et sa détermination à écraser dans la répression tout mouvement de contestation, et son obstination à répondre par le mépris et les manœuvres politiciennes habituelles aux aspirations profondes des Algériens, comme le fait d’envoyer des contre-manifestants scander le nom de Bouteflika et des slogans hostiles au RCD, à seule fin de discréditer le mouvement.

Le mépris avec lequel le préfet d’Alger avait signifié au RCD son refus d’autoriser la manifestation, illustre bien la nature foncièrement autoritaire et despotique d’un pouvoir agonisant qui ne connaît que la force brutale comme méthode de communication. En plus de déclarer la marche illégale, en vertu de l'état d'urgence en vigueur depuis 1992, le communiqué de la wilaya, rendu public le jeudi 20 janvier et repris par l’ENTV dans son JT de 20 heures
, demandait aux citoyens « de ne pas répondre aux provocations destinées à porter atteinte à leur tranquillité, leur quiétude et leur sérénité ». A croire que les Algériens, à voir toute cette redondance, ont besoin qu’on leur dise les mots de différentes manières, pour comprendre. Frapper d’illégalité, discréditer, diviser, désolidariser, réprimer et accuser : telles sont les bonnes vieilles méthodes que le pouvoir, dont la grande faiblesse est de sous-estimer le peuple qu’il prétend diriger depuis des décennies, use, jusqu’au bout.

Tel le chien qui montre les dents lorsqu’il a peur, le pouvoir a décidé de faire encercler les manifestants devant le siège du parti, déclenchant des affrontements qui ont fait plusieurs dizaines de blessés parmi les policiers et les militants, dont le chef du groupe parlementaire Athmane Mazouz et le chef régional du RCD à Bejaia, Reda Boudraa, sans compter les arrestations, parmi lesquelles celle de Arezki Aïter, le député RCD de Tizi Ouzou. On apprend aussi que des affrontements ont éclaté aux Isser dans la wilaya de Boumerdès entre les forces de sécurité et des manifestants qui se rendaient à Alger.

Pour autant que cette marche ait été étouffée par le dispositif policier, elle aura réalisé trois avancées importantes : d’abord elle a été la première initiative politique organisée, bravant l’interdiction de manifester, et fédérant autour du RCD, le PLD, le Parti pour la laïcité et la démocratie, des étudiants de Tizi Ouzou, des signataires d’une pétition appelant au changement démocratique, le collectif de l’Algérie pacifiste, un collectif de jeunes qui s’active sur internet pour l’organisation de marches, un comité de chômeurs du sud, et des syndicalistes de diverses organisations autonomes. Ensuite, elle a exprimé des revendications démocratiques claires : levée de l’état d’urgence qui interdit toute manifestation, libération des détenus emprisonnés pendant les émeutes, et reconnaissance des libertés individuelles et collectives. Quant aux manifestants qui brandissaient des drapeaux algériens et tunisiens, ils ont donné libre cours à leur mécontentement en criant : « Etat assassin », mais aussi  « Jazaïr Hourra, Jazaïr Democratiya » Algérie libre, Algérie démocratique»).

Et enfin, l’initiative a débouché sur la création d’une « fédération nationale des forces du changement », qui aura notamment pour mission de préparer une marche le 9 février prochain, date anniversaire de la proclamation de l'état d'urgence en Algérie en 1992, afin d'en demander la levée.

Sur le versant idéologique, on ne s’étonnera pas que les dirigeants aient fait appel à la seule arme qu’ils connaissent : la religion, pour tenter de stopper le phénomène de l’immolation par le feu qui se répand dans le pays. Comme ils l’ont fait pour les malheureux harraga, les imams, en clergé obéissant, ont décrété que le suicide vaudrait à leurs auteurs le Feu éternel, comme si le feu terrestre qui les a consumés n’avait pas de sens, comme si les raisons qui ont conduit ces jeunes, ces pères et cette mère de famille à s’immoler, n’avaient pas d’intérêt à leurs yeux. Invoquer Dieu pour légitimer l’injustice, c’est vieux comme le monde, mais dans le cas présent, c’est le comble de la honte, non loin du pays où Mohamed Bouazizi est devenu le héros de tout un peuple, au moment même où le roi Abdallah de Jordanie a pris des mesures sociales, entamé une série de négociations avec les opposants, et s’est rendu en personne dans les régions les plus défavorisées.

Les gouvernants algériens ont toujours méprisé le peuple, comme les élites d’ailleurs. Leur haine des intellectuels est à la mesure du système qu’ils ont forgé, décennie après décennie : par le mensonge, l’absence totale de transparence, la brutalité, la grossièreté, l’arrogance et l’infantilisation du peuple, la prédation et le pillage total des ressources du pays, la destruction culturelle et intellectuelle et l’instrumentalisation constante de la religion.

Mais le comble de ce sinistre système totalitaire, le plus arrogant de tous, c’est le président actuel, qui croit qu’il n’y aucune limite à l’exercice du pouvoir : ni l’âge, ni la maladie, ni la Loi, ni même la carence en légitimité, comme le montrent les documents de Wikileaks qui viennent d’être publiés, et qui révèlent l’existence d’un rapport de l’ONU, non publié, dénonçant les fraudes lors de l’élection présidentielle du 9 avril. Lors de son accession au pouvoir en 1999, Bouteflika avait même soutenu sur l’antenne d’Europe 1, que Boumédiène l’avait désigné comme successeur par une lettre-testament qu’il a laissée avant sa mort. Une information impossible à vérifier, faute de preuve, mais la prétention suffit à illustrer la rapacité du personnage qui croit que le pouvoir appartient de droit à un clan, qu’il est un butin de guerre qui se transmet par testament.

François Mitterand écrivait, dans Le coup d’état permanent, « Un dictateur n’a pas de concurrent à sa taille, tant que le peuple ne relève pas le défi ». Comme les Tunisiens, les Algériens doivent se dire que l’échéance présidentielle de 2014, c’est bien trop loin.

 

Leïla Babès le 26/01/2010

 

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