Hassi-Messaoud : ça continue....
Le supplice des femmes de
Hassi-Messaoud continue…
Hassi-Messaoud n’est pas la fierté
de l’Algérie, mais sa honte. La cité pétrolière, la ville la mieux protégée du
pays est aussi celle où on lynche les femmes. En toute impunité. 9 ans après
cette nuit de l’épouvante durant laquelle plusieurs dizaines de femmes avaient été
sauvagement agressées et torturées plusieurs heures durant, on apprend que les
femmes sont toujours l’objet d’attaques similaires. Leur seul tort est d’être
célibataires ou vivant seules avec leurs enfants, et de travailler. Ce sont
donc des proies faciles, d’autant plus vulnérables que les crimes commis le 13
juillet 2001 restent impunis. Il faut croire que ces hommes encagoulés qui font la
chasse aux femmes, tous les soirs depuis deux semaines, armés de sabres, de
haches, de couteaux et de barres métalliques, n’hésitant pas à fracturer les
portes, au risque d’ameuter tout le voisinage, n’ont peur de rien, et surtout
pas de la police.
A première vue les motivations de
ces bandes de voyous paraissent purement crapuleuses, puisque ces misérables
femmes sont dépouillées de leurs bijoux et de leurs objets de valeur. Pourtant
les agresseurs les brutalisent systématiquement et vont pour certains jusqu’à
tenter de les violer en présence de leurs parents, venus leur rendre visite. Le
vol pourrait même n’être qu’un alibi ou une manifestation de vengeance, comme
le prouve le pillage qui a suivi le lynchage du 13 juillet 2001. Ces
expéditions qui surviennent au beau milieu de la nuit dans les cités des « 36
et 40 Logements » sont clairement motivées par la haine
des femmes. « Ce n’étaient pas des voleurs mais des terroristes », a
déclaré l’une de ces femmes, ce qui en dit long sur le traumatisme des
victimes. La preuve : certaines d’entre elles sont victimes de viols
collectifs, battues à mort, ou assassinées.
Qui sont ces femmes ? Pour la
plupart originaires des villes du nord, elles sont employées comme femmes de
ménage ou cuisinières, au mieux, comme secrétaires. Elles sont donc au bas de
l’échelle sociale, mais le travail, mieux rémunéré dans la riche cité pétrolière,
leur permet de vivre décemment, et pour certaines, de subvenir aux besoins
d’une famille nombreuse.
Des femmes de mœurs légères, des
prostituées ? C’est ce que semblent penser les hommes de Hassi-Messaoud,
comme le montrent les insultes qui fusent de la bouche des agresseurs. Mais
qu’importe, qu’elles se prostituent ou non, de toutes façons, l’étiquette leur
est accolée, au seul motif qu’elles ont le culot de vivre seules, et qui plus
est, de travailler. L’expédition punitive du 13 juillet 2001 n’avait-elle pas
été encouragée par le prêche de l’imam du coin qui voulait en finir avec toutes
ces fornicatrices ? Ce qui rend les femmes de Hassi-Messaoud si
vulnérables, c’est qu’elles sont loin de leurs fratries. Voilà la triste
réalité de la condition des femmes qui vivent sans protection familiale, loin
des grandes villes où seul l’anonymat et un statut social élevé garantissent un
minimum de sécurité. La leçon de Hassi-Messaoud est claire : une femme qui
vit loin de son clan est en danger, dans la ville où les hommes seuls,
algériens comme étrangers, sont les mieux protégés. Hassi-Messaoud, c’est une
justice à deux vitesses : la sécurité pour les nantis, et la jungle pour les
laissés pour compte de la rente pétrolière. Aux portes de la forteresse, les femmes
de ménage sans maris ni père ni frère sont jetées en pâture à des bêtes
féroces.
Le cri de ces femmes est
unanime : il n’y a pas de justice dans cette ville. Celles qui bravant les
menaces de représailles sont allées porter plainte, se sont heurtées à un mur
d’indifférence, parce qu’elles avaient
eu la chance de ne pas échouer comme d’autres, à l’hôpital. « Que voulez-vous qu’on fasse, vous
n’avez qu’à retourner chez vous », avait répondu un policier à l’une des
plaignantes. Il est vrai qu’en l’absence d’un tuteur mâle, une femme n’est
nulle part chez elle, dans son propre pays, dans sa propre maison.
Terrorisées, menacées de
représailles, acculées pour certaines à quitter la ville, comme toutes les
victimes de ces misogynes qui ne peuvent assouvir leur instinct de haine que
dans le crime, ces femmes en viennent à se justifier pour avoir le droit de
vivre et de travailler, de rappeler que c’est la misère qui leur a fait quitter
leur région. Aucune parole ne saurait mieux exprimer la détresse de ces femmes
que celle prononcée par l’une d’elles : « J’ai maudit le jour où je
suis venue au monde ».
Comment se
fait-il que les 60 femmes qui ont été violées, torturées, brûlées et enterrées
vivantes en cette nuit d’horreur du 13 juillet 2001 n’aient pas encore obtenu
réparation ? On aurait pu espérer que le procès qui s’est ouvert en janvier
2004 soit un procès exemplaire, une arme dissuasive, et avant tout, rende
justice à ces victimes de la barbarie. Au lieu de la mascarade qui a tenu lieu
de tribunal, ce procès aurait pu être l’occasion pour la justice de ce pays de
montrer au monde que l’Algérie n’est pas un pays qui laisse ses citoyennes se
faire torturer en toute impunité. Comment un Etat peut-il protéger les femmes
lorsque ses plus hauts dirigeants passent leur temps à négocier avec les
islamistes, comme le montre la petite surenchère du moment sur les histoires
de centimètres de peau à montrer sur les photos d’identités des femmes voilées.
Le message qu’il envoie aux femmes est on ne peut plus clair. Dès lors qu’ils
contrôlent l’économie, les maîtres d’Alger peuvent bien abandonner aux
islamistes l’ordre moral. Un secteur peu rentable mais coûteux, et pas
seulement pour les femmes.
Leïla
Babès le 14/04/2010