Osman Sardasht : « Comme Jésus Christ, je serai la vérité même »
On
savait que l’invasion américaine en Irak et la chute du régime de Saddam
allaient ouvrir la boîte de Pandore. L’heure n’est plus à se demander lequel,
de la peste ou du choléra, est préférable, sinon à se dire que la différence entre
l’ancien et l’actuel régime, est que Saddam seul avait le droit de tuer, et
qu’après lui, la violence s’est dé-monopolisée, chacun voulant exterminer son
voisin. Mais aujourd’hui il ne s’agit pas de revenir aux vieilles rancunes et à
la folie meurtrière des terroristes jihadistes qui tels les charognards, font du
malheur des autres un terrain de chasse.
L’assassinat
immonde du jeune journaliste kurde, Osman Sardasht, vient nous rappeler qu’à
l’ombre de la pax americana, le dépeçage du cadavre de Saddam aussi permis à ses émules de reconstituer la forfaiture et le crime d’Etat.
Il n’avait que 23 ans, il
était beau, et il était brave. Osman
Sardasht était étudiant à l’université Salah Eddine d’Erbil, la capitale du
Kurdistan. Il a été kidnappé par des hommes armés le
4 mai devant son université, sous les yeux de la police et des étudiants. Son
cadavre a été retrouvé le 6 mai dans la ville de Mossoul, portant des signes de
torture et deux balles dans la tête.
Le
seul crime de Osman Sardasht était d’être reporter au magazine Ashtiname et de
signer des contributions pour différents sites internet, sur la
corruption et le clientélisme. Il avait notamment publié un article intitulé :
« Je suis amoureux de la fille de
Massoud Barzani », où il avait établi la liste des privilèges dont
jouit la parentèle du président du gouvernement autonome du Kurdistan,
précisant même que les palais du dirigeant étaient protégés par des Israéliens.
Tout
semble désigner du doigt le fils du président, Masrour Barzani, qui dirige L’Agence
de sécurité de la Région kurde, le Parastin. Les gardiens de l’établissement où
se trouvait Osman Sardasht le jour de son kidnapping, et qui dépendent du PDK
(le Parti démocratique du Kurdistan, dirigé par Massoud Barzani), ne sont pas
intervenus, et la camionnette où ses ravisseurs l’avaient jeté a passé sans difficulté plusieurs postes de
contrôle tenus par le PDK.
Ce n’est pas la première
fois que Masrour Barzani s’en prend violemment à des journalistes. Avant
Osman Sardasht, un autre journaliste, également âgé de 23 ans, Soran Mama Hama a
été tué par balles à son domicile, le 21 juillet 2008. Soran, qui travaillait
pour le magazine "Leven" à Kirkouk, était également connu pour ses
articles critiques sur les élus locaux et les responsables de la sécurité.
En février
2006, Masrour Barzani avait
donné l’ordre à ses gardes du corps de tirer - en plein Vienne –le militant des
droits de l’Homme, Kamal Saïd Qadir.
Cet intellectuel kurde – citoyen autrichien – connu pour ses articles lapidaires
sur les maîtres d’Erbil, avait été arrêté au Kurdistan en 2005, condamné à … 30 ans de prison, puis libéré
quelques mois plus tard grâce aux pressions exercées par l’Autriche.
Le
Kurdistan irakien est totalement contrôlé par le PDK et l’UPK, l'Union
patriotique du Kurdistan dirigé par Jalal Talabani. Or, depuis quelque temps,
toute critique visant les chefs de file et hauts responsables des deux partis
s’accompagne de représailles : menaces, agressions physiques et meurtres,
perpétrés par des hommes en civil à la solde des agents du Parastin et du Dazgay
Zanyari (le service de sécurité de l'UPK). L’accord passé entre les deux
formations pour museler la liberté d’expression menace tout particulièrement
les journalistes et les intellectuels kurdes. Et ce n’est pas tout : les
dirigeants des deux partis sont régulièrement accusés de détentions
arbitraires, de torture, d’exécutions sommaires, et de nettoyage ethnique à
Kirkouk et dans les régions limitrophes.
Comme
Soran Mama Hama, Osman
Sardasht avait reçu
des menaces avant d’être assassiné.
Au mois de janvier, juste
après avoir reçu les premières menaces de mort, il avait écrit un article
émouvant. C’est une belle leçon de bravoure, et un message d’espoir, qui se
passe de commentaire :
« C’est derniers jours Ils m’ont dit que les
occasions de respirer l’air seront rares, donc mes jours sont comptés. Mais peu
m’importe de mourir ou d’être torturé ; j’attendrai ma fin, le dernier
rendez-vous avec mes assassins. J’espère qu’ils m’offriront une mort tragique à
l’image de ma vie tragique. Je dis cela pour que vous sachiez que dans ce pays
la souffrance des jeunes est si grande que la mort est une de leurs options la
plus probable. Pour que vous sachiez aussi que ce qui nous terrifie le plus,
c’est de continuer à vivre et non pas de mourir. C’est le sort de mes petits
frères qui reste mon plus grand souci, pas le mien. Face à ces menaces, ce qui
m’inquiète le plus, c’est qu’il y a encore beaucoup à dire avant de
disparaître. Le problème de ce régime, c’est que la mort de ses enfants ne le
dérange pas.
Hier, j’avais averti le doyen de ma faculté que
quelques jours auparavant, ils m’avaient humilié et menacé de mort. Il m’a
répondu que ces faits étaient du ressort de la police. Tout de même !
Existe-t-il un pays au monde où une Université choisisse d’ignorer les menaces
de mort adressées à l’un de ses étudiants et de ne pas se préoccuper du danger
qu’elle court ? Il était du devoir du doyen de ma faculté de prendre en charge
ce problème ; la responsabilité lui en incombait, ou incombait à l’université,
puisque j’en suis membre. Cependant, je n’ai pas été étonné car depuis déjà pas
mal de temps je sais que les universités de ce pays ne sont pas des havres de
paix.
J’ai donc pris contact avec le commissaire
Abdeljaleq, directeur de la police d’Erbil. Celui-ci m’a dit : « Les
menaces que vous avez reçues par téléphone peuvent aussi provenir de l’étranger,
ou peut-être s’agit-il d’un problème personnel. Ces menaces se répèteront
probablement mais la ville d’Erbil est sécurisée et il ne peut y avoir de
suites à des problèmes de ce type ». J’imaginais alors, en souriant
ironiquement, qu’en effet, c’était certainement Sarkozy qui me menaçait. J’ai
également réfléchi aux moyens de protéger ma vie, car l’un de mes amis, qui
avait été frappé et humilié à cause de divers articles qu’il avait récemment
publiés, avait finalement été amené à fuir la ville.
Arrive que pourra, car je ne vais pas quitter cette
ville, j’attendrai ma mort. Je sais que l’heure de ma mort va sonner, et qu’en
fin de compte, le glas qui sonnera pour moi sonnera pour les jeunes de ce pays.
Mais cette fois-ci, je ne me plaindrai pas, je n’informerai pas non plus les
autorités compétentes. C’est une décision personnelle et j’en assume les
conséquences. À partir de maintenant chaque mot que j’écris, je l’écris comme
étant le dernier de ma vie. Comme Jésus Christ, je serai la vérité même. Je
suis heureux car j’ai toujours quelque chose à dire bien qu’il existe toujours
des gens qui ne veulent pas écouter. Mais plus nous faisons de révélations,
plus ces gens s’inquiètent. Il ne nous reste donc plus qu’à continuer à dire la
vérité pendant que nous sommes encore vivants et que, là où ma vie s’arrêtera,
mes ami(e)s mettent un point et passent à la ligne suivante. »
Leïla
Babès le 26/05/2010