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Le blog de Leïla Babès
7 mai 2009

Ordures contre cochons

 

 Egypte : ordures contre cochons


cochons
 

Les images d’affrontement qui nous sont parvenues d’Egypte dimanche dernier, entre les forces de police et des éleveurs de porcs, constituent la scène la plus significative de la rencontre de deux formes de peur collective : celle de la maladie contagieuse, amplifiée par les risques de pandémie liés à la grippe porcine, débaptisée depuis, grippe mexicaine, ou plus précisément en terme épidémiologique, le virus AH1N1, et celle, plus ancienne, religieuse et culturelle, du porc, comme animal impur. Sur cette dernière peur, on aurait d’ailleurs tort de la circonscrire aux seuls peuples musulmans, pas simplement parce qu’elle est partagée par les Juifs, mais aussi parce qu’elle plonge ses racines dans cette aire civilisationnelle du Proche-Orient, et dont l’Egypte pharaonique semble représenter le foyer initial de la prohibition de la consommation de l’animal en question, à partir du II° millénaire A.J. C’est donc là que les peuples de la région élevaient et consommaient du porc, et c’est là que l’interdit a pris naissance.

Ces évènements font également penser à un autre type d’interférence entre le registre des croyances religieuses et celui de la science, ou plutôt des arguments religieux qui recourent à la science pour justifier le tabou. Beaucoup de musulmans avancent la thèse de l’origine infectieuse, ou parasitaire de l’animal, ce qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec la notion d’impureté, dans le but de donner une valeur scientifique à un interdit alimentaire. On retrouve d’ailleurs cette même explication chez des théologiens juifs du Moyen Âge.

Enfin, il n’est pas superflu de le souligner, c’est dans cette même Egypte qui a inventé le tabou que se sont déroulées les émeutes qui ont opposé dimanche, les coptes, éleveurs de porcs, et les forces de police, dépêchés sur les lieux pour réquisitionner les bêtes incriminées.

En fait les autorités égyptiennes avaient décidé dès le 29 avril, de procéder à l'abattage des 350 000 porcs  que compte le pays.

Bien que le pays ne soit pas touché par l’épidémie, que les scientifiques ne cessent de répéter que les élevages de porcs ne sont pas directement responsables que le cheptel égyptien est sain,  et que la grippe A ne se transmet pas du porc à homme –ce serait même l’inverse puisqu’on vient d’apprendre que c’est un homme qui vient de contaminer un élevage, au Mexique, ce qui est un comble-, l’Egypte est le seul Etat à prendre une telle mesure. Il reste que ce pays ayant été durement frappée par la grippe aviaire, la décision pourrait aisément se justifier si elle ne visait directement la plus forte minorité chrétienne du pays, du moins la catégorie la plus pauvre de cette population qui tire de l’élevage des porcs l’un de ses moyens de subsistance, l’autre en étant le traitement des ordures du Caire, 20 millions d’habitants, la ville la plus peuplée d’Afrique et du Moyen-Orient.

Les zabbalîn, les ramasseurs d’ordures, qu’on appelle pudiquement les chiffonniers, depuis que Feu sœur Emmanuelle a tenté de leur rendre leur dignité, s’entassent par dizaines de milliers dans le quartier de Moqattam, dans l’est de la capitale, et c’est là, dans la saleté et la puanteur qu’hommes, femmes et enfants trient les ordures collectées dans la ville pour vendre les maigres profits qu’ils en tirent, recyclant ce qui en reste, faisant œuvre d’utilité publique en suppléant aux éboueurs officiels, débordés par la tâche. C’est là aussi que les familles élèvent des porcs, leur deuxième source de revenu. La réalité des images, insoutenables, rejoint l’imaginaire : saleté et cochons font bon ménage. Le fait est que ces animaux contribuent eux-mêmes à recycler une partie des détritus.

Selon toute vraisemblance, l’affrontement de dimanche qui s’est soldé par des jets de pierres d’un côté et des gaz lacrymogènes, des tirs de balles en caoutchouc et des arrestations de l’autre côté est une première. La même résistance organisée ailleurs, à 25 kilomètres au nord du Caire, a obligé les policiers à abandonner leur mission. 

Mais on aurait tort de croire que le gouvernement recule par indulgence pour cette population. Il y a d’abord les conditions d’application de ces mesures qui révèlent la faible capacité des abattoirs qui n’ont pu égorger que trois cents cochons par jour. Mais il y a surtout les déclarations du ministre de la santé qui a reconnu que les autorités ont profité de l’occasion pour en finir avec l’élevage porcin, et critiqué le vote du Parlement alors que la mesure était sans rapport avec la grippe. 

Effectivement, le rôle des députés Frères musulmans a été déterminant dans l’adoption du décret. On a même entendu l’interview d’un responsable de l’organisation islamiste déclarer que c’est l’ensemble des pays du monde qui devrait éradiquer l’espèce impure et néfaste des cochons.

Là aussi, il serait naïf de n’y voir qu’une manifestation de l’aversion naturelle des musulmans pour le porc. A travers l’animal qui n’en est que le symbole, ce sont les Egyptiens de confession chrétienne qui sont visés, et au-delà, toute idée de différence. Et lorsqu’on sait à quel point la vision islamiste de la différence est étendue, qu’elle inclut les musulmans eux-mêmes, à commencer par les femmes, on se dit que le cochon est décidément une belle aubaine.

Mais la vraie question est celle-ci, du moins, ce serait celle-ci si l’Egypte était une vraie démocratie, si ces parlementaires Frères musulmans oeuvraient pour toute la nation au lieu de siéger dans le seul but de défendre leur stratégie entriste : à quoi sert d’avoir des députés s’ils ne se préoccupent guère du bien-être, de la survie même de leurs électeurs ? Car jusque là, aucune indemnité n’a été proposée aux éleveurs de cochons. Rien d’étonnant à ce qu’ils se défendent bec et ongles.

En fait, ces misérables zabbalîn qui se révèlent moins bêtes qu’il n’y paraît, feraient pâlir de jalousie la Camorra, la mafia napolitaine qui détient le monopole du ramassage des ordures, puisque leur devise est devenue : « Pas de cochons, pas de ramassage des ordures ».  
 

Leïla Babès le 06/05/2009





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