La légende des sept dormants, 2
La légende des sept dormants, 2
C’est
un fait avéré que dans un grand nombre de pays du pourtour méditerranéen, et
au-delà, il existe des lieux, objet de vénération, supposés accueillir les
restes ou rendre simplement un hommage aux 7 dormants. Il peut s’agir de mausolées,
de tombes, ou plus simplement de monticules, souvent à proximité d’une grotte
plus ou moins grande.
Cette
présence est attestée au Maroc, en Algérie, en Egypte, en Syrie, en Irak, en
Turquie, en Europe de l’ouest aussi, en France, en Espagne, en Allemagne. Il
s’agit donc de lieux de dévotion qui se ressourcent autant dans l’univers
islamique que dans l’univers chrétien.
Ce
qui n’est pas un fait exceptionnel en soi, lorsqu’on sait que le littoral sud
de la Méditerranée
abrite ici et là des sanctuaires qui ont fait l’objet de culte de la part de
fidèles musulmans, juifs et chrétiens. Si ce n’est que ces rites relèvent plus
du syncrétisme populaire que de croyances orthodoxes, ce qui n’est pas le cas
des 7 dormants dont l’histoire prend directement sa source dans le Coran pour
l’islam, et dans des textes de l’Eglise pour le christianisme.
Il
arrive que le lieu fasse directement référence au récit coranique, en portant
le nom de sab’a rgûd, comme en Algérie à Boghrari et à Annaba, et sans doute en
d’autres endroits encore. Parfois l’onomastique fait plutôt allusion à la
caverne, comme en Tunisie près de Tozeur, à ghar ahl al Kahf, littéralement la
grotte des Gens de la caverne, ce qui aurait pu paraître redondant si on ne
savait que le terme de ghar, synonyme de kahf, est d’un usage plus courant dans
l’Arabe populaire.
On
peut constater que s’il est bien question des 7 dormants, le nom ici met
davantage l’accent sur la caverne. De même qu’à Boghari, où c’est l’expression
7 dormants, seb’a rgûd qui désigne un ensemble de 7 monticules, c’est une
immense caverne d’où sortent des bruits étranges qui donne au lieu sa dimension
émotionnelle.
Comme
dans la plupart des lieux dédiés au culte des saints, le ou les tombeaux censés
contenir les restes du ou des saints, peut faire défaut. Ce qui signifie que le
personnage peut avoir réellement existé, comme il peut s’agir d’une légende, un
récit fabriqué autour d’un personnage fictif, représenté par une source, un
arbre, ou un tas de pierre.
Près
de Sidi Belabès, on appelle les « 7 hommes » 7 étranges petites
tombes alignées, et dont on dit qu’elles contiennent les corps de 7 frères nés
d’un même ventre au même moment. A Annaba, le nom de sab’a rgûd désigne 7
petits mausolées que les Français ont nommés « les santons ».
D’après
l’historien local, ces tombeaux accueillent les restes de 7 marabouts arrivés
au XV° siècle de la mythique Saqya al-Hamra, et portant tous les 7, le prénom
de Ali. Mais selon la légende, les 7 ne seraient que des membres de la famille,
très vénérée dans cette ville, qui a fondé à Kairouan la puissante confédération
des Chabbia qui a contrôlé toute la région frontalière entre le XIV° et le
XVII° siècle.
Bien
entendu, comme dans la plupart des rites de dévotion, la fonction thérapeutique
attribuée aux saints ou aux personnages de légendes qui s’attachent à ces lieux,
est importante. Comme à Amizmiz, près de Marrakech, là où se trouvent 7 tombes,
alignées non loin de la source de Lalla Takerkoust, des malades, musulmans,
aussi bien que juifs, viennent se faire mordiller les pieds enduits de pain par
des tortues d’eau.
Autre
caractéristique, et non des moindres : certains de ces lieux de vénération
font l’objet de rites festifs et de pèlerinages.
C’est
le cas pour le petit village Alloun en grande Kabylie, là où se trouvent les
seb’a assassin, les 7 gardiens.
Pèlerinage
aussi autour de 7 tombes sur la côte atlantique du sud du Maroc, où l’on vénère
les Regrega, des Masmouda chrétiens et qui d’après la légende, seraient allés rendre
visite au Prophète à Médine. Curieux chassé-croisé qui mêle deux récits dans un
même mythe d’origine : celui des 7 dormants et celui de la visite d’une
délégation de chrétiens de Najran, une localité du nord du Yemen, au Prophète,
à Médine, en 631.
D’après
la tradition, après qu’une vive discussion ait eu lieu entre le Prophète et les
prélats de Najran au sujet du statut de Jésus, et ne trouvant pas d’accord sur
cette épineuse question de dogme, le Prophète proposa une mubâhala, une ordalie,
un rite d’exécration réciproque, une sorte d’appel solennel à la malédiction de
Dieu, celle-ci devant s’abattre sur ceux qui ont tort ainsi que sur leurs
peuples. Mais les chrétiens refusèrent l’ordalie, et cet événement se solda par
un pacte qui devait servir de modèle à l’élaboration du statut des chrétiens et
des juifs dans l’islam. Le Coran fait brièvement mention de cet événement fondateur,
dans la sourate III, la sourate de la famille de ‘Imran, au verset 61.
Au
Maroc donc, autour des Regrega, le pèlerinage circulaire des 7 tombes qui
commence au début du printemps et dure 40 jours, fait penser au pèlerinage
circulaire aux 7 saints de Bretagne qui relie les cathédrales des fondateurs
réels ou mythiques des 7 evêchés de la province. Tout le long du parcours, on
pouvait voir des chapelles et des sources dédiées aux 7 saints, avec 7 bassins
dans un village et 7 fontaines dans un autre.
Mais
le pèlerinage circulaire le plus célèbre reste celui dédié aux 7 saints de
Marrakech. Contrairement à la coutume, dans ce cas, ce sont des personnages
historiques réels, ayant vécu du XII° au XV° siècle. Le rite aurait été
institué par le cheikh Al-Youssi à l’instigation de Moulay Ismaïl pour contrebalancer
le prestige des 7 Regrega, patrons des Chiadma qui avaient infligé une défaite
à un de ses prédécesseurs saadiens. La greffe a réussi puisque la dénomination
de « 7 hommes » est devenue une autre façon de nommer Marrakech.
La
circumambulation se fait du sud-est au nord dans le sens du tawaf, comme autour
de la ka’ba. On visite d’abord Sidi Youssef, puis le cadi Ayyad, puis Sidi Bel
Abbas Sebti, le grand patron de la ville, puis Sidi Mohamed Ben Slimane
Al-Jazouli, puis Sidi Abdel-Aziz At-Tebba son disciple, puis Sidi Abdallah
El-Ghezouani dit Moul-el-Ksour, disciple du précédent, et enfin Sidi
Abderrahman el-Soheïli, après être passés par le quartier dela Koutoubia et devant la
sainte Sida Zohra el-Kouch, dont la légende raconte qu’elle était aussi belle que
savante, et qu’elle résista aux avances de Moulay Zidane.
Au
croisement de deux religions, la légende des 7 dormants est la plus populaire des
croyances qui revêtent une dimension œcuménique, et probablement la seule qui
fasse l’objet d’un tel consensus, d’un tel accord sur les faits, les significations
et le symbolisme qui la sous-tend. Sans doute la double charge sacrale qui
renvoie à la catégorie de la sainteté en même temps qu’au symbolisme du chiffre
sept, est-elle pour beaucoup dans l’impact de la croyance.
Et
comme c’est souvent le cas dans les lieux de culte qui mêlent le savant au
populaire, le scripturaire au mythique, les divergences doctrinales et la
confrontation théologique importent peu. La critique du christianisme qui ponctue
le récit coranique des Gens de la caverne passe au second plan. Seule compte la
leçon eschatologique. Comme les 7 dormants d’Ephèse, de nombreux saints
musulmans plus ou moins importants, plus ou moins réels, font l’expérience du
sommeil qui prépare à la résurrection.
Leïla Babès le 20/09/2006