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Le blog de Leïla Babès
13 janvier 2008

Ce que parler en politique veut dire

 

Ce que parler en politique veut dire

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A plus d’un titre, Nicholas Sarkozy a montré qu’il était l’homme de la rupture.

Pour s’en tenir au seul registre du style, on est frappé par le franc-parler du président français, diversement apprécié selon qu’on le juge positivement comme un « parler-vrai », ce qui correspond bien au sens que son auteur entend lui donner, ou négativement, sur le fond, comme un langage populiste, et sur la forme, comme un parler-incorrect, qui ne s’embarrasse guère des règles syntaxiques et grammaticales de la langue française.

C’est sur ce dernier aspect, comme symbolique du pouvoir, que j’aimerais parler l’accent.

Double rupture donc, dans le style, et dans l’usage fréquent, pour ne pas dire systématique, du parler familier. Une première dans l’histoire de la V° République, et oserais-je dire, vraisemblablement dans toute l’histoire de l’Etat français, depuis au moins la création de l’Académie française, au début du XVII° siècle.

Il ne s’agit pas d’un langage de simplification volontaire qu’un homme d’Etat peut être amené  à employer, au risque de commettre quelques entorses à la langue, dans un contexte de convivialité, mais d’un style public, direct, non construit, et ponctué de fautes.

Ainsi, l’usage intempestif qu’il fait du pronom personnel « je », l’éloigne radicalement de ses prédécesseurs.

Cette personnalisation du style donne d’abord l’impression que le discours est totalement autocentré ; ensuite, elle rompt avec le style passif et général, caractéristique d’une tradition française qui veut que le chef de l’Etat, incarnation de l’ensemble de la nation, doit avoir de la hauteur.

Déclinée par une hypercorrection, pour reprendre un concept que Bourdieu a notamment utilisé dans son livre, Ce que parler veut dire, la hauteur dans ce cas n’est pas synonyme de distinction sociale, un langage de dominant, il est d’ailleurs tout aussi illusoire de penser que c’est celui qui parle bien qui dit ce qui est vrai et juste, une croyance populaire malheureusement encore répandue.

Elle implique seulement la distance, la réserve et la sobriété qu’exige la position de celui qui représente la France et les Français, quelque que soit le gouvernement. Chirac, Mittérand, Giscard, Pompidou, et de Gaulle bien sûr, avaient tout naturellement adopté le style impersonnel, réfléchi et détaché qu’exige la fonction de chef d’Etat.

Un exercice sans doute difficile, force est de le reconnaître, pour un Sarkozy omniprésent, quasi-ubiquitaire, hyperactif, impatient, et nerveux.

Enfin, ce que révèle le recours au « je », dont le président use abondamment, c’est qu’il expose son auteur à ce relâchement qui caractérise la langue vulgaire, à ces fautes qu’on ne s’autorise qu’en privé, comme par exemple de ne pas user de l’adverbe de négation, « ne », comme de dire : j’ai pas dit, j’ai pas fait, je vais pas, je pense pas, j’irai pas.

La secrétaire d’Etat à la politique de la ville, Fadela Amara, ex-présidente de l’association NPNS, et transfuge du PS, avait, il y a quelques semaines, qualifié la loi sur les tests ADN pour le regroupement familial des immigrés, de « déguelasse ».

Une liberté de langage que l’ensemble de la classe politique, ou presque, n’a pas jugé déplacé, parce que tout le monde comprenait que l’indignation légitime, quand on est fille d’immigrée et qu’on vient de la banlieue, pouvait justifier un tel écart.

Un écart somme toute mineur, mais qui procède, toutes proportions gardées, de cette même démagogie qui suppose que l’adoption du langage de la banlieue nous rend plus légitimes dans la banlieue.

A fortiori quand on vient de la banlieue. Sauf que tous les Français issus de la banlieue ne s’expriment pas en verlan, cette espèce d’argot qui inverse les syllabes, et que le monde du show-biz adopte, tout aussi par démagogie.

En témoigne les expressions dont la ministre use dans le conseil des ministres et dans le blog qu’elle a créé au lendemain de sa nomination : « on va y aller à donf » (en français : on va y aller à fond), «Je vous le dit cash », « bougez-vous », « fini la glandouille ».

Ce qui rappelle les slogans sarkoziens, mais en plus familier.

L’adoption jusqu’à la caricature du langage dit banlieusard –ou supposé tel-, destinée à donner une image de proximité, -que celle-ci soit réelle ou non-, révèle une autre aporie : le fait que la ministre ne doit sa légitimité politique qu’à cela même qu’on attend qu’elle fasse, ou qu’elle pense devoir faire : parler le seul langage que les milieux auxquels elle est supposée appartenir, peuvent comprendre.

Une telle division du travail renvoie à l’image diamétralement opposée de la ministre de la justice, Rachida Dati, dont le CV est l’objet d’une suspicion permanente. Par opposition à une Fadéla Amara, dont le seul diplôme est un CAP d’employée de bureau, en tous points conforme à l’idée qu’on se fait d’une ministre des banlieues, le parcours da la garde des sceaux ne cesse d’étonner.

Une ascension sociale fulgurante pour une fille d’immigrés, le fait qu’elle exerce ses fonctions sans porter les stigmates de sa différence culturelle, sans afficher le réflexe immédiat de l’appartenance, c’est forcément douteux.

Rachida Dati est ambitieuse, dit-on. Et pourquoi diable ne le serait-elle pas ? L’ambition n’est-elle pas une qualité indispensable dans les lieux du pouvoir ? En vérité, une femme arabe, issue de l’immigration, à la tête d’un portefeuille important, si sûre d’elle, fortement contestée pour sa politique, c’en est trop. Elle rappelle à quel point le vieux schéma de la reproduction, selon lequel les élites françaises se recrutent depuis des générations, dans les mêmes milieux et les mêmes grandes écoles, l’ENA, ou Polytechnique, ne fonctionne plus.

Que Rachida parle un français académique parfait ou non, importe peu. Son expression est trop lisse, trop peu marquée par ses origines pour coller tout à fait aux catégories de la distinction sociale et culturelle.

Face à la langue corrompue qui se répand d’autant plus dramatiquement, que les enfants et les adolescents qui l’adoptent plus volontiers sont en situation de fragilité scolaire, de l’argot au verlan, en passant par cet horrible charabia que véhicule la publicité, les courriers électroniques, les chats et autres SMS, il est urgent de redonner à la langue sa fonction républicaine de cohésion nationale, celle que l’école doit continuer de remplir, par l‘apprentissage de la distance par rapport aux mots, qui seul permet une relation saine à l’écriture.

On ne peut lutter contre les discriminations si le langage devient un instrument de division, et on ne peut le faire qu’en aidant à l’élévation vers la langue commune, par le dépassement des différences, et non en nivelant par le bas.

Dans son livre, paru au Seuil en 2003, La langue est-elle fasciste ?, Hélène Merlin-Kajman rappelait à juste titre le lien historique entre la langue et la politique, depuis que François 1°, a institué le français comme langue officielle exclusive, un acte fondateur qui allait de pair avec la volonté d’instaurer pleinement la chose publique, cette dimension éthique et civique qui constitue la communauté politique.

 

Leïla Babès le 05/11/2007


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