Binationaux
Binationaux
Dans l’une de mes précédentes chroniques, consacrée à
la situation des Juifs de France, j’avais notamment souligné à quel point la
loyauté de ces citoyens français à l’égard d’Israël, pouvait être
problématique, en particulier à l’échelle des institutions représentatives qui
n’ont pas hésité à encourager l’immigration de citoyens français vers Israël.
Le cas franco-israëlien est assez exemplaire à cet
égard, et il l’est d’autant plus que l’histoire du judaïsme français est depuis a Révolution
française, un modèle d’intégration.
Bien entendu, de nombreux citoyens dans le monde ont
une double appartenance citoyenne, et même pour certains de multiples
nationalités, sans que cela les rende suspects.
Même si les Français de confession ou d’appartenance
juive ne manifestent pas tous, loin s’en faut, une loyauté inconditionnelle
envers l’Etat d’Israël, le problème se pose de savoir dans quelles conditions
et selon quels ressorts, des citoyens choisissent de soutenir un autre pays au
détriment de leur pays de naissance, d’origine et de nationalité.
Par-delà le particularisme judéo-français, la
question plus fondamentale qui se pose, est de savoir dans quelles conditions la
double nationalité, non seulement en tant que dispositif juridique, mais
surtout comme levier, est susceptible de conduire à des choix ou des
préférences pouvant entraîner un préjudice à l’égard de l’un des deux pays.
Les déclarations faites jeudi dernier par le
président du Front national, Jean-Marie Le Pen, sommant les Français qui ont la
double nationalité de faire un choix, nous obligent à revenir sur cette
problématique.
Le Pen qui s’en est pris ouvertement au nouveau ministre
de la justice, Rachida Dati, qui jouit par ailleurs ou est susceptible de jouir
par ses origines de la nationalité marocaine, et dit-ton, sans doute aussi
algérienne par sa mère, n’a pas manqué de citer d’autres exemples, comme celui
de la malheureuse franco-colombienne Ingrid Béthancourt, et celui, beaucoup
moins reluisant du terroriste Moussaoui, emprisonné aux Etats-Unis, une façon
pour le leader d’extrême-droite de jeter l’anathème sur tout citoyen d’origine
étrangère, suspect par essence, et donc coupable de trahison envers la France. En tout état de cause, les motivations de Moussaoui,
son implication dans la préparation des attentats du 11 septembre, n’ont rien à
voir avec sa double nationalité, française et marocaine.
Poussant l’amalgame entre double nationalité et
islam, le Pen n’a d’ailleurs pas hésité dans le même discours à déclarer qu’il
y a des villes entières à majorité musulmane, Roubaix et Marseille.
Ce qui importe ici, ce n’est pas la gesticulation
xénophobe post- et pré-électorale du leader moribond, mais la question,
débarrassée de ses oripeaux extrémistes,
et formulée d’un point de vue républicain, de savoir si la double nationalité
est susceptible de poser un problème d’incompatibilité dans l’exercice du
pouvoir.
Il ne s’agit pas ici de débattre du cas particulier
de Rachida Dati, la première personne issue de l’immigration maghrébine à accéder
à un portefeuille important, ce dont on ne peut que se réjouir, mais de
s’interroger sur les implications éventuelles, dans le cadre de la
responsabilité politique, de décisions, de choix, de préférences pouvant
entraîner un désengagement ou un préjudice à l’égard du pays qu’on sert.
La question ne concerne d’ailleurs pas spécifiquement
les Maghrébins, mais l’ensemble des Français, d’origine étrangère ou pouvant
acquérir une autre nationalité, comme ceux qui vivent dans un autre pays par
exemple, comme l’autorise la loi française qui ne subordonne pas l'acquisition
de la citoyenneté au renoncement à la nationalité d’origine.
Le problème n’est d’ailleurs pas de nature
exclusivement juridique, il relève surtout de l’éthique politique.
Reste toutefois ce point de droit qui soulève un tout
autre problème : un binational étant considéré dans le pays de son origine
comme un ressortissant exclusif (c’est le cas du franco-algérien), il ne peut faire
prévaloir dans ce cas, sa nationalité française.
Imaginons donc un ou une ministre ou député français
séjournant dans son pays d’origine et se retrouvant automatiquement soumis à la
loi de celui-ci. Comme nous vivons dans des pays où le droit, quels que soient
les litiges bilatéraux qui peuvent se poser, se conjugue avec la diplomatie et
la raison politique, il y a tout lieu de croire que le scénario qu’on imagine,
très improbable, reste de l’ordre de l’humoristique.
Ce qui est sûr, c’est que Rachida Dati, en visite au
Maroc ou en Algérie, pourrait embrasser tous les hommes qu’elle voudra, et même
sauter en parachute, sans risquer comme la ministre pakistanaise du tourisme,
Nilofar Bakhtiar, au mois de mars dernier, de provoquer les foudres des
religieux.
Leïla Babès le 06/06/2007