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Le blog de Leïla Babès
6 janvier 2008

Illusions dangereuses

Illusions dangereuses


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Face à ce qui participe de l’idéologie, c’est-à-dire l’illusion que le message d’un discours est vrai et juste, la production d’un langage clair et critique sur le monde et les hommes, reste le seul rempart. Le but d’une telle entreprise n’est pas de proposer un contre-discours porteur des mêmes prétentions, mais seulement à tenter de démonter toute logomachie qui vise à masquer le réel.

 

L’idéologie comme tromperie, dans ce sens marxien de ce qui masque la réalité, s’instaure insidieusement comme une croyance. Elle est même passée au statut de croyance doublement légitime en ce qu’elle agit d’une part comme consensus, pour satisfaire les idées supposées refléter les opinions du plus grand nombre, et d’autre part comme instrument de défense de ce qu’il est convenu d’appeler les minorités.

 

Dans son souci de dé-légitimation du langage qui fâche, choque, provoque ou stigmatise –la stigmatisation : voilà un mot devenu un véritable instrument d’intimidation contre tout discours critique-, cette nouvelle idéologie qui se distingue de celle que Marx réserve aux classes dominantes en ce qu’elle est diffuse et qu’elle s’étend à des milieux divers (médias, politiques, groupes de pression), produit un autre langage dont la logique la plus répandue est l’euphémisation.

 

Les effets pervers de cette «langue de bois » sont repérables à deux niveaux : 1) en substituant un mot par un autre mot jugé plus « politiquement correct », elle aboutit à nier le réel, à en altérer le sens ; 2) en croyant oeuvrer pour la défense des minorités, les nouveaux idéologues en viennent finalement à maintenir leurs protégés, supposés incarner les « faibles », dans leurs particularismes ethniques ou religieux, leur fermant ainsi l’accès à l’universel dont ils apparaissent finalement comme les seuls représentants.

 

Depuis plus de deux décennies, l’usage généralisé du terme de musulman, qualifiant désormais l’ensemble des individus originaires du Maghreb, constitue en lui-même une série de leurres dont le moindre n’est pas l’éradication pure et simple de l’arabité. Il ne s’agit pas, dans cette tentative de dés-essentialisation de l’islam, de tomber dans le travers inverse en considérant l’arabité comme un donné naturel, anhistorique. Les Arabes du Maghreb sont majoritairement des descendants de berbères arabisés et ne sont ni plus ni moins arabes que les Arabes du Moyen-Orient.

 

Or, tout se passe comme si l’arabité était devenue le summum de l’infamie. C’est que l’appartenance à cette culture a été à un tel point associée à l’idée de race que tout ce qui peut rappeler les anciens (ou présents) préjugés raciaux à l’égard des Arabes, à commencer par le mot, doit être escamoté, comme si le fait de jeter l’enfant avec l’eau du bain était le meilleur moyen de s’auto-déculpabiliser. Du coup, nous nous retrouvons face à cette illusion que les Arabes de France qui confessent l’islam ne sont pas arabes, mais seulement musulmans. Une telle sur-détermination du référent « islam » joue donc à la fois comme agent de monopolisation du registre identitaire, et comme instrument de disqualification d’une forme d’appartenance importante, l’arabité, voire dans certains cas, d’exclusion de toute autre forme d’appartenance.

 

De ce mécanisme culturaliste où la réalité est à la fois transposition surréelle et dénégation, les Arabes de France ont participé, inconsciemment pour la plupart, délibérément pour ceux d’entre eux qui militent pour une islamité exclusive.

 

En qualifiant les Arabes de « musulmans » -qui faut-il le préciser ne confessent pas tous la religion musulmane-, on joue sur les mots à partir du même registre : l’identitaire. C’est à un détournement de sens et de pouvoir qu’une telle taxinomie conduit. D’une part l’islam n’est jamais perçu comme une appartenance individuelle, mais toujours comme une communauté monolithique, intrinsèquement et ethniquement définie par le label religieux ; d’autre part, la « communauté » est rabattue sur une minorité agissante qui se trouve investie d’un pouvoir de représentation, submergeant le champ de la parole publique sur l’islam, imposant une vision quasi-unifiée autour de ses propres conceptions. Seule cette minorité profite des dividendes de cette gigantesque farce : les islamistes, eux-mêmes fortement demandeurs d’une telle déculturation par l’islamique, représentés par leurs organisations et leurs prédicateurs, et dont les avancées sont d’autant plus importantes qu’ils ont reçu le soutien de certains courants médiatico-politiques de gauche qui ont cru reconnaître dans ce néo-clergé, les nouveaux damnés de la terre, un substitut à la classe ouvrière.

 

Si cette affaire rappelle une autre entreprise de « débaptisation », celle qui a remplacé le mot « noir » par « black », ses implications politiques sont autrement plus importantes. Car en prétendant défendre l’ensemble des musulmans lorsqu’ils ne font que soutenir les thèses islamistes, ces courants, et tout particulièrement certaines personnalités qui ont entraîné les institutions ou les organismes qu’ils représentent par leur engagement inconditionnel dans cette bataille, ont finalement montré que l’objet de leur combat n’est que l’alibi, l’instrument d’un projet dont les enjeux sont ailleurs : la remise en cause des valeurs de la modernité, et notamment la laïcité.

 

L’une des dérives de cette assignation identitaire des citoyens de confession –ou de simple appartenance- musulmane, a donc été de considérer les « musulmans » comme une communauté susceptible de faire l’objet d’un racisme spécifique. C’est pourquoi en faisant de la lutte contre « l’islamophobie » leur cheval de bataille, au risque de bloquer toute tentative de critique à l’endroit de l’islam et des musulmans, ceux qui ont investi ce « créneau », apportent un surcroît de confusion qui ne peut être que préjudiciable à ceux-là même qu’ils prétendent défendre. D’abord parce qu’à force de dire que c’est l’islam qui est l’objet de la détestation, ils en viennent à masquer les véritables causes de l’exclusion : le nom, le faciès, ou l’exhibition de signes extérieurs de la différence. Ensuite, quand cessera t-on d’user et d’abuser de cet instrument de chantage qu’est cette rengaine sur l’islamophobie qui tétanise nombre de français qui n’osent plus dire ce qu’ils pensent ? Ce n’est pourtant pas compliqué, la critique n’a rien à voir avec le racisme !

 

La critique est un bien trop précieux pour être sacrifié sur l’autel de la langue de bois démagogique, et nous qui avons la chance de vivre dans un pays de liberté, devons tout faire pour défendre cette liberté contre ceux qui tentent de la détruire, ceux-là même qui sous d’autres cieux pratiquent la chasse aux sorcières. La critique n’est pas seulement un garant de liberté et un rempart contre les totalitarismes, elle est, face à la nouvelle idéologie qui a trouvé dans le langage de la confusion, le moyen d’endormir les esprits naïfs, l’expression même de la raison.

 

 

 

Leïla Babès, le 02/02/2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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