La ligue des amis de "l'islam" et la laïcité
La Ligue des amis de « l’islam » et la laïcité
LEÏLA
BABÈS
dimanche
25 avril 2004
Voici
la version intégrale du texte paru dans Marianne du 19/25 avril 2004 sous le
titre « Moi, musulmane, qui osera m’accuser d’islamophobie ? »
Créée en 1997 à l’initiative
de la Ligue de
l’enseignement, la
Commission « islam et laïcité », alors dirigée par
Michel Morineau et Pierre Tournemire, avait notamment pour objectifs de
rassembler des citoyens de différentes confessions en vue de réfléchir à
l’intégration de l’islam en France, et de lutter contre l’islamophobie. En
vérité, la pluralité de la composante musulmane était faiblement représentée,
les acteurs les plus actifs de la
Commission appartenant pour la plupart au réseau des Frères
musulmans, comme le montre le rôle très actif que Tareq Ramadan ou certains
leaders de l’UOIF ont joué dans cette affaire. Les orientations partisanes de la Commission ne font donc
pas de doute, comme on peut en juger encore aujourd’hui par les publications du
site www.islamlaicité.org, qui édite
abondamment les articles de presse de Tariq Ramadan. En 2000, prenant
conscience de cette tendance, la présidente de la Ligue de l’enseignement mit
fin aux travaux de la
Commission, laquelle fut mise sous la tutelle de la Ligue des droits de l’Homme
et du Monde diplomatique.
A propos de la peur que « l’islam » suscite, Alain Gresch [1] ironise sur « le
caractère intrinsèquement violent » de cette religion, « qui renvoie
à la situation en Algérie ou au Pakistan ». C’est prendre les Français
pour des demeurés. On admettra qu’au moins depuis les attentats du 11
septembre, l’opinion publique a considérablement évolué, et que le citoyen
moyen fait preuve de clairvoyance quant à la distinction entre islam et
islamisme (extrémiste et/ou terroriste ou non). Arrêtons donc de faire comme si
les Français étaient stupides au point d’ignorer que la violence était le fait
d’une minorité agissante. Reste, une fois cette banalité rappelée, à se
demander de quelle sorte de violence les groupes, que la Ligue es droits de l’Homme,
le Monde diplomatique, comme le MRAP, les Verts, les Altermondialistes et
d’autres organismes, défendent sous l’étiquette « islam », sont
porteurs, question toujours éludée, et systématiquement renvoyée au camp des
méchants de la rive sud : Afghanistan/Pakistan/Arabie saoudite, comme si
la violence n’était pas aussi symbolique, comme s’il ne suffisait pas de faire
l’éloge de la lapidation pour être un « lapideur » en puissance. Car
c’est bien de groupes que les responsables de la commission « islam et
laïcité » parlent, en désignant « les musulmans ». Bien qu’ils
se défendent de rassembler des citoyens sur la base de leur représentation
institutionnelle, ils n’hésitent pas à affirmer que « les structures
communautaires sont nécessaires en tant que réseaux de sociabilité »
-comme si les citoyens de culture musulmane avaient attendu l’UOIF pour
constituer des réseaux de sociabilité-, et même exiger de la République de
« prendre en compte les demandes spécifiques et légitimes des groupes et
des individus se réclamant de l’islam » [2]. Quand Alain Gresch et
Michel Tubiana [3]
disent que la vision que l’opinion française a de l’islam se rapproche du
« choc des civilisations », ils feignent d’ignorer que le seul choc
qui existe pour l’heure, est celui qui sépare défenseurs et ennemis de la
laïcité, qu’ils soient musulmans ou non. En tous cas, eux qui appellent à « comprendre
en profondeur ce qui est en train de se passer dans la communauté musulmane en
France », ils devraient savoir que celle-ci ne se reconnaît nullement dans
la minorité (UOIF) qu’ils défendent, et qui se fait largement représenter dans
la commission. Alain Gresch quant à lui [4],
nie l’existence du communautarisme islamique, qui supposerait selon lui deux
éléments : « les lois spécifiques à une catégorie de citoyens »,
ce qui à sa connaissance « est rejeté par tous », et « des
communautés qui vivraient refermées sur elles-mêmes, totalement en
marge ». Admettons. Mais alors pourquoi demander un peu plus loin une
situation d’exceptionnalité pour l’islam ? «La République meurtrie par
l’affrontement entre les « deux France », a toujours privilégié une
application souple pour la laïcité. Elle a aussi laissé faire le temps pour
obtenir, pas à pas, l’acceptation par l’Eglise catholique de la laïcité.
Pourquoi refuserait-on aussi le temps à l’islam de France de
s’adapter ? ». Soit. Mais alors faut-il attendre que les voiles
tombent d’eux-mêmes ? Dans combien d’années, combien de décennies ?
Ce ne sera certes pas grâce aux organisations islamiques, ni même aux
« jeunes, aidés par une majorité d’intellectuels » [5] (qui) « tentent de
penser dans le sens d’une réforme, l’adaptation du dogme aux conditions de la
démocratie politique ». Ce que Michel Morineau ne semble pas saisir, c’est
que le propre du dogme est de rester intangible, et que pour adapter l’islam,
point besoin de repenser la croyance aux Livres, aux anges ou au Jugement
dernier, mais qu’il est urgent que les courants islamiques dont les amis de
« l ‘islam » se font les porte-paroles, comprennent une fois pour
toutes que leurs conceptions archaïques, patriarcales et obscurantistes, leurs
rengaines sur les soi-disant interdits et obligations, et toute cette
fantasmagorie ritualiste et fétichiste, sont une honte pour l’islam, et que
nous n’allons pas attendre deux décennies pour qu’enfin, le shaykh Frère
musulman Al-Qaradhaoui et référence pour l’UOIF, depuis Al-Qatar, nous fasse
une fatwa pour autoriser la poignée de main entre un homme et une femme. Cet
islam là, messieurs de la Ligue
des amis de « l’islam », n’est rien d’autre qu’une parodie ubuesque
de religion, un reliquat de bédouinisme rurbain qui ne mérite pas tant de bruit
et de fureur. La laïcité, c’est bien connu, c’est la liberté religieuse. C’est en tous cas ce
que scandent les défenseurs musulmans du voile, ce que ne contredisent
nullement leurs amis non musulmans. Le voile nous dit-on, procède d’une
démarche spirituelle, et pourrait même être un moyen d’émancipation. « Les
féministes disent que les femmes voilées sont brimées, mais dans beaucoup de
cas, leur foulard leur permet de se libérer, par exemple vis-à-vis de leur
« grand frère », d’aller à l’école et de progresser vers une
libération effective ». C’est ce que nous apprend Jean Boussinesq de la Ligue de
l’enseignement [6]. Et
voilà. Le voile est la clé qui permet de contourner l’obstacle : le grand
frère magnanime qui autorise la scolarité de sa sœur moyennant le port du
foulard. Mais dans quel monde sommes-nous ? C’est une insulte à nos mères
et à nos grand-mères qui ont fièrement ôté leurs voiles dans des sociétés et en
des temps autrement plus durs, et c’est une insulte aux féministes françaises
qui se sont battues pour nous rendre la vie plus facile. Mais le comble du ridicule,
c’est le débat organisé par la
Ligue des droits de l’homme le 23 octobre 2003 à la mairie du
10°, sur le thème : « Foulard, voile, « burka :
pourquoi ? » [7].
Michel Morineau écrit [8] :
« La commission n’a pas pour vocation à discuter de théologie musulmane
mais elle n’a pas exclu d’être éclairée sur ses fondements ». Quels
fondements ? Il n’y a plus de théologie depuis Averroès, et les seuls
sujets qui intéressent les musulmans qui oeuvrent dans la Commission tournent
autour des interdits et des obligations. Il est vrai que ... « les
problèmes d’intégration des citoyens de confession musulmane dans la société ne
relèvent pas tous de la laïcité... D’autres thèmes comme le statut de la femme,
le mariage, la succession, relèvent d’autres catégories
juridiques » [9].
Comme la shari’a par exemple ? A quand des débats sur la table de la République sur les lois
successorales dans l’islam, la polygamie, la lapidation, et sa petite sœur la
flagellation ? Bien entendu, tout ceci n’a rien à voir avec le
communautarisme, que tout ce beau monde rejette.
Allez-vous m’accuser d’islamophobie, moi qui suis musulmane ? Mais si, je suis musulmane, je vous l’assure, ne vous fiez pas aux apparences.
[1] Commission « islam et
laïcité », réunion du 13 juin 2003.
[2] Commission « islam et
laïcité ».
[3] Commission « islam et
laïcité », réunion du 13 juin 2003, bilan.
[4] Commission « islam et
laïcité », réunion du 13 juin 2003.
[5] Commission « islam et
laïcité », « L’islam en France et la République :
sortir des préjugés ».
[6] Revue Axiales, 3° trimestre
2003.
[7] « La ligue des droits
de l’homme oublie ceux de la femme et joue le jeu du fanatisme
religieux », www. perso.wanadoo.fr/atheisme.
[8] Commission « islam et
laïcité », bilan d’étape.
[9] Ibid. La plupart de ces
textes sont publiés sur le site www.islamlaicite.org
[10] « Les faux-semblants
de la commission Stasi », www.islamlaicite.org