L'humour comme arme
Femmes : l’humour comme arme
Quelque que soit leur appartenance confessionnelle, les
intégristes ont en commun la haine des femmes et de l’amour.
Une fois n’est pas coutume, j’ai décidé de placer
cette journée de la femme sous le signe de l’humour. C’est d’ailleurs l’arme
que des milliers de femmes indiennes ont adoptée pour répondre aux attaques des
extrémistes indous, et tout particulièrement, ceux du Sri Ram Sena, l’armée du
seigneur Ram (du nom du dieu indou, Ram), groupe qui sévit à Bangalore, dans le
sud-est du pays, et dont les adeptes ont été baptisés depuis, les Taliban
indous.
L’histoire commence à la fin du mois de janvier,
lorsqu’un commando de quarante de ces militants ont pris d’assaut un bar
fréquenté par des couples d’amoureux et ont agressé les jeunes femmes
présentes. Arrêté par la police, le leader du mouvement, Pramod Mutalik, menaça
d’envoyer ses milices patrouiller dans tous les lieux publics le 14 février,
jour de La St-Valentin, la fête célébrée désormais partout par les amoureux, pour marier de force toute
jeune femme trouvée en galante compagnie.
Il n’en fallut pas davantage pour provoquer la colère
des femmes, mais aussi des jeunes, non seulement à Bangalore, mais aussi dans
toutes les grandes villes.
Mais au lieu de manifestations, de meetings, ou de
tout autre mouvement conventionnel, les femmes ont choisi de répondre par une
autre forme de subversion : l’humour et la provocation. A l’initiative
d’une jeune journaliste de New Delhi, Nisha Susan, elles ont décidé de créer
sur Facebook, « le consortium des femmes libérées, allumeuses et allant
dans les bars », et dont la première action fut de lancer un appel pour
envoyer des culottes roses au siège du
Sri Ram Sena.
Depuis, le réseau qui compte 20 000 membres, femmes
ou hommes, reçoit des quatre coins du monde, des dessous féminins de couleur
rose, par opposition au safran, la couleur des extrémistes.
Autre initiative organisée par ces femmes : la
fréquentation massive des pubs le 14 février pour défier les intégristes
indous, appel qui a été également suivi par de nombreux sympathisants hommes.
Il semblerait que la riposte des femmes ait porté ses
fruits, puisque le Sri Ram Sena a décidé de répondre par une action plus
pacifique, en échangeant les culottes par des saris roses, ce qui est de bonne
guerre, lorsqu’on sait que cette couleur est celle du Gulabi gang, ce mouvement
de paysannes féministes en saris roses, que j’ai évoqué ici même il y a
quelques mois.
Pour autant que la menace soit nuancée, l’extrémisme indou représente un grand danger,
pour les libertés individuelles, mais aussi pour les musulmans qui constituent
une cible de choix. Un autre mouvement nationaliste, le Shiv Sena, proche du
parti anti-musulman Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien), et qui
avait en 2006 menacé de tondre les cheveux des femmes le jour de la St-Valentin , est le responsable principal des attentats commis
contre les musulmans, et notamment de l’attaque en 1992 de la
mosquée de Babri Masjid, du nom de Babur, le premier empereur moghol qui l'a
édifiée au XVIe siècle sur un site qui aurait été selon une croyance indoue, le
lieu de naissance du dieu Ram. Les trois dômes de la mosquée ont été détruits,
et l’affaire avait provoqué une vague de violences opposant musulmans et
indous.
Concernant la St-Valentin, même son de cloche chez les islamistes pakistanais de la Jamma
Islami, le grand parti
devenu depuis un mouvement transnational, qui réclame son interdiction,
qualifiée de « jour de honte où les occidentaux assouvissent leur soif de
sexe », mais aussi en Malaisie, en Arabie Saoudite et en Iran où la fête
des amoureux provoque l’ire des clergés.
Pour les extrémistes indous aussi bien que musulmans,
ce n’est pas seulement le sentiment amoureux qui est interdit, mais toutes les
manifestations hédonistes comme la fête, la joie, et le plaisir de la
convivialité. A les entendre, ce sont des valeurs occidentales qui corrompent
la pureté de la culture ou de la religion, comme si ni l’Inde hindouiste ou
l’islam n’avaient célébré, chacun à sa manière, l’art, l’amour et le plaisir.
En attendant, les femmes indiennes ont trouvé une
arme de choix : la provocation par l’humour.
Leïla Babès le 11/03/2009