Dieu aime t-il les femmes ?
Dieu aime t-il les femmes ?
Article paru dans Témoignage chrétien, numéro 3246
« Dieu use quant aux croyants de
la semblance de la femme de Pharaon, quand elle dit : « Seigneur,
bâtis-moi près de Toi une demeure au Paradis, et sauve-moi de Pharaon et de ses
œuvres. Sauve-moi d’un peuple d’iniquité » ; « Et Marie
fille de Joaquim. Elle sut fortifier son sexe. Nous y insufflâmes de Notre
Esprit. Elle avéra les paroles de Son Seigneur et des Ecritures. Dévote
fut-elle entre tous ».
Coran, Sourate LXVI, versets
11 et 12
C’est par cette leçon que la sourate nommée
« L’interdiction » se termine, comme pour donner une puissance
supplémentaire au caractère exemplaire de ces deux versets. Littéralement, Dieu
informe qu’il donne en exemple ces deux femmes aux croyants.
Il y aurait bien plus à dire sur Marie que ce que
suggère cette séquence. Le privilège d’être l’unique femme nommée dans le
Coran, alors qu’il est question de « la femme de Pharaon », « la
mère de Moïse », « la sœur d’Aaron », comme si sa perfection
l’exemptait d’un quelconque rattachement patriarcal, sa naissance miraculeuse,
son statut de mère de Jésus –une filiation dont le texte use systématiquement
en parlant du Christ-, tout ceci fait de l’unique
femme élue, exempte de péché, un être à part, au-dessus de tous. On ne
s’étonnera donc guère qu’elle soit citée en exemple aux côtés de la femme de
Pharaon, que la Tradition
musulmane appelle ‘Asya. On se bornera à souligner que le Coran la désigne
comme « dévote entre tous », autre privilège puisqu’elle est la seule
à faire l’objet de manière explicite d’un tel attribut, le Coran usant du
masculin pluriel, qânitîn, au lieu du féminin pluriel, qânitat,
si elle avait été donnée en exemple comme femme, pour les femmes.
On l’aura compris, Marie et ‘Asya sont désignées
comme modèles à suivre pour l’ensemble des croyants, littéralement pour ceux
qui ont cru (lilladhîna ‘âmanu), hommes et femmes.
Quelle meilleure preuve que Dieu aime vraiment les femmes, que celle qui
consiste à donner pour modèles de dévotion non pas une, mais deux femmes ?
C’est le signe qu’il n’y a pas une échelle de
perfection pour les hommes et une autre pour les femmes, et que la perfection
n’est pas un attribut de pouvoir, qu’elle n’a rien à voir avec la vision
masculine bien terrestre, profane, spirituellement médiocre pour ne pas dire
triviale, qui consiste à dire que le Message est adressé aux hommes et que Dieu
leur a donné l’autorité sur les femmes parce que la domination est d’essence
masculine.
Au contraire, le texte coranique use d’un langage
polémique à l’égard du pouvoir, dont Pharaon est le modèle par excellence. Sauf
pour la reine de Saba dont le trône fait l’objet d’un éloge singulier. Bien que
souveraine d’un Etat dont la puissance et la magnificence sont évoquées avec
bienveillance, Bilqîs -c’est ainsi que la Tradition musulmane l’appelle- se livre elle-même
à la critique du pouvoir des rois : « Les rois, dit-elle, quand ils envahissent une cité, y font grand dégât,
et réduisent les puissants de son peuple à la vilénie –Ils en usent ainsi
» (XXVII, 34). Exemplaires aussi sont les versets consacrés à cette grande
figure féminine du Coran et à sa rencontre avec Salomon, pour montrer le chemin
parcouru par une souveraine pleine de sagesse qui la mène de cette vision
terrestre du pouvoir vers l’acte final de la foi monothéiste, celui de la
reconnaissance du seul vrai trône, le trône divin.
De fait, pour le Coran, le seul critère de
discrimination est celui de la foi.
Mais dans ce cas, si le privilège d’être désigné
comme modèle pour les croyants n’incombe pas à un homme, un saint, un ange ou
un prophète, pas même Noé, Moïse, Abraham, Muhammad ni même Jésus, pourquoi des
prophètes/hommes, des prophètes/rois -comme David, et Salomon par qui la conversion
de Bilqîs est advenue-, la polygamie, la moitié de l’héritage et toutes les
dispositions qui mettent la femme dans un statut bien inférieur ?
Le Coran use souvent pour parler des femmes, de leur
vie familiale, de leurs tenues et de leur intimité, d’un langage euphémistique,
comme pour mettre un voile pudique sur elles (à coup sûr, c’est là le vrai
voile). En ne disant pas leur nom –à l’exception de Marie-, en les rattachant à
leur père, leur frère ou leur mari, il se conforme à la coutume sémitique de la
filiation patrilinéaire et clanique. A cet égard, le Coran appréhende la femme
comme être social, vulnérable, protégée par son clan, soumise à la tutelle des
hommes et aux règles du patriarcat.
Pourtant, des commentateurs ont compris le second message du Coran. C’est le cas
d’Ibn Hazm qui place Sarah, la mère de Moïse et Marie au rang de prophétesses,
liste à laquelle Al-Ash’ari ajoute Eve, Agar et ‘Asya. Des femmes ont donc été
des réceptacles d’inspiration divine. La reine de Saba elle-même (XVII, 42-43),
en subissant les épreuves de la transformation de son trône par Salomon et
l’illusion du sol en verre qu’elle prit pour une nappe d’eau, a fait
l’expérience de l’acte divin de re-création du monde.
Dieu se jouerait-il de nous ? Son dessein est
peut-être de nous dire : voici le chemin, il est simple et tortueux, mais les
clairvoyants sauront le trouver. Quant aux autres, il leur est loisible,
moyennant quelques corrections, de continuer à s’adonner à leurs passions
favorites.