Marie dans l'islam
la femme nommée, modèle de perfection
Beaucoup de choses ont été écrites sur le statut de
Marie dans l’islam, en particulier dans le Coran, où son nom est presque
toujours associé à celui de Jésus Christ. Le texte divin confère à ces deux figures un rang éminent, puisque
tous deux sont nés purs, privilège qu’aucun prophète, pas même Muhammad, n’a
eu. C’est d’ailleurs l’ensemble de la famille de ‘Imran qui jouit d’une
élection divine ; le Coran consacre à celle-ci une sourate (III), ainsi
qu’à Marie (XIX). L’évocation de Marie traverse l’ensemble du Coran depuis les
versets mekkois les plus anciens jusqu’à la fin de la période médinoise, ne
serait-ce qu’en tant que mère de Jésus. Le double statut de Jésus, issu de la naissance d’une femme et de la
création miraculeuse du souffle de Dieu, le met ainsi que Marie, dans une place
exceptionnellement honorable, et donc énigmatique, au regard d’une perception
pour le moins ambiguë que le Coran a des chrétiens.
Pour l’islam, la Vierge est trop élevée pour
être soumise aux lois humaines du patriarcat. Marie est Marie, elle se suffit à
elle-même, et Jésus est le fils de Marie. C’est d’ailleurs pourquoi elle est la
seule femme nommée dans le Coran. « Lors les anges dirent :
« Marie, Dieu t’a élue et t’a purifiée : Il t’a élue sur les femmes
des univers » (III, 42). Autrement dit, elle a été choisie d’entre
toutes les femmes des univers, et élevée au-dessus d’elles. En tant qu’Elue de
Dieu, Marie échappe aux règles de la filiation clanique, aux codes de décence,
de pudeur, d’honneur tribal que Dieu Lui-même est amené à observer lorsqu’il
parle des autres femmes en ne les nommant pas, en ne les appelant que comme
« la fille de », « la femme de ». Aucune femme donc n’est
nommée par le Coran, pas même Eve, et ce privilège de la désignation par le
nom, jusque dans l’évocation de Jésus, fait de Marie une femme à part qui n’a
pas besoin de clan pour être protégée. Du coup, Marie échappe au statut de
femme vulnérable, inférieure et protégée par son clan, soumise à la tutelle des hommes et aux règles
du patriarcat.
Deuxième privilège : Marie, exemple de
perfection pour les croyants, est citée avec une autre femme, la femme de
Pharaon : « Dieu use quant aux croyants de la semblance de la femme
de Pharaon, quant elle dit : « Seigneur, bâtis-moi près de Toi une
demeure au Paradis, et sauve-moi de Pharaon et de ses œuvres. Sauve-moi d’un
peuple d’iniquité » ; « Et Marie fille de Joachim. Elle
sut fortifier son sexe. Nous y insufflâmes de Notre Esprit. Elle avéra les
paroles de Son Seigneur et des Ecritures. Dévote fut-elle entre tous »
(LXVI, 11-12).
Fondamentalement, il n’y a
ni masculin ni féminin, mais seulement l’Etre. Rien d’étonnant à ce que le
soufisme et la gnose aient été les seuls courants de l’islam à développer une
représentation positive de la femme comme réceptacle du divin, et à accueillir
les femmes comme membres à part entière dans leurs cercles d’initiés.
Voilà bien une étrange
religion, traversée par deux lectures, deux tendances radicalement
opposées : l’une, héritière du souffle universel du Message, portée vers
ce qu’il y a de plus sublime dans l’Homme, le transfigurant, n’hésitant pas à
placer une femme au premier rang des meilleurs ; l’autre entièrement
tournée vers les contingences sociales, obsédée par la différence de sexe et la
peur de la femme, recroquevillée sur ses angoisses libidinales et ses fantasmes
liberticides, empêtrée dans les lourds plis du voile qui l’empêche de regarder
vers l’avenir, torturée par l’obsession du pouvoir et de la domination. Qui
sait si un jour les tendances ne sont pas s’inverser, et si –on peut toujours
rêver- la première ne finira pas par avoir raison du délire ubuesque de la
seconde. A condition de redonner à Marie –à la femme- la place qui lui revient.
Leïla Babès