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Le blog de Leïla Babès
27 mars 2009

une femme ministre

Une femme ministre en Arabie saoudite


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La nomination pour la première fois dans l’histoire de ce pays, d’une femme, au gouvernement saoudien, sonne comme une révolution. Du moins, c’est la première impression qui s’en dégage, tant le royaume wahhabite, probablement le plus misogyne qui soit, fondé par une vision obscurantiste, nous avait habitués à toutes sortes de discriminations et de vexations à l’égard des femmes.

Dans le cadre d’un important remaniement ministériel, le roi Abdallah a procédé samedi dernier à la nomination de Noura Al-Fayez, au poste de vice-ministre de l'éducation, enfin, plus exactement, chargée des affaires des filles, ce qui semble salué par les militants progressistes de ce pays comme une victoire, ce qui peut se comprendre, pour un pays où les femmes n’ont pas le droit de travailler et dans le meilleur des cas, de parler ou de fréquenter les mêmes espaces que les hommes, de circuler, de voyager et de se soigner sans être accompagnées de leur mahram –un mari, père, frère, oncle ou neveu-, de conduire une voiture, et bien évidemment, sont obligées de porter le voile, obligation qui incombe d’ailleurs à toutes les femmes, y compris les non musulmanes qui foulent le sol saoudien, sauf les hôtesses de l’air, les compagnies aériennes ayant décidé de ne mettre dans les vols à destination de ce pays, que des stewards, des hommes donc. Ce qui prouve à l’évidence que l’islam n’a rien à voir avec ça puisque c’est l’ensemble du genre féminin, musulmanes ou pas, qui fait l’objet d’une névrose obsessionnelle collective.

Dans le royaume des Ibn Séoud, où la redoutable police des mœurs, la toute puissante commission de la prescription du bien et de la prévention du mal, du ‘amr bil-ma’rûf wal-nahy ‘an al-munkar, règne d’une main de fer, comme si cela ne suffisait pas qu’elles soient seulement victimes de discriminations et de privation grave de liberté, les femmes sont en plus l’objet d’une véritable diabolisation. En voici quelques exemples :

Prenons d’abord l’interdiction pour les femmes de conduire des voitures. Hypocritement, les hommes diront toujours que c’est pour les protéger. En réalité, dans un pays sans transports publics, privées de ce droit, les femmes, tributaires du bon vouloir de leurs maris, frères ou pères, sont tout simplement assignées à ne pas se déplacer, et pour couronner le tout, leur revendication est assimilée à une incitation au vice. La conduite pour une femme n’est pas seulement un moyen d’émancipation, elle symbolise l’un des attributs de la virilité et du pouvoir de l’homme.

On comprend que les Saoudiennes passent beaucoup de temps sur internet, un refuge tout aussi mal vu. Il y a un peu plus d’un an, une fatwa leur avait tout bonnement interdit l’usage d’internet, sauf en présence d’un mahram, je cite « capable de juger de sa débauche et de sa fourberie ». Cette fatwa faisait suite à une autre fatwa qui portait sur la même interdiction en raison je cite « de la perfidie des intentions de la femme ». Pas d’équivoque donc. Si la femme va sur internet, ce n’est nullement pour s’instruire, s’informer, ou poursuivre n’importe quel but respectable. De plus, elle est rusée et perfide, elle est manipulatrice et recourt à des stratagèmes, bref, elle est tout sauf sincère et digne de confiance, bref c’est le diable en personne. Dans le pays qui contrôle les lieux saints de l’islam, des religieux prêchent impunément et officiellement la haine et le mépris des femmes. Qu’on ne s’étonne pas alors que l’arbitre d’un match amical de football ait refusé en septembre 2007, de participer au jeu à cause de la présence, dans les gradins, d’une fillette de 12 ans, et que les autorités du stade aient demandé au père de faire sortir l’enfant.

En 2002, alors que le feu avait pris dans le dortoir d’un collège de filles en pleine nuit, la police des mœurs intervint pour empêcher la fuite des adolescentes au motif qu’elles n’étaient pas suffisamment voilées, ce qui conduisit à la mort dans l’incendie, de quinze d'entre elles. Pour assurer une meilleure protection des collégiennes, le roi dût placer l’établissement sous son autorité directe. Il suffit de se rappeler qu’en 1964, le roi Faysal avait dû faire intervenir la Garde  nationale pour ouvrir des  écoles, même pas mixtes, juste réservées aux filles.

Même dans le domaine des pratiques cultuelles où l’islam n’opère aucune différence entre l’homme et la femme, les autorités saoudiennes trouvent le moyen d’instaurer des discriminations, comme en 2006 lorsqu’ils ont interdit aux femmes, officiellement par manque de place, l’accès de l'esplanade entourant la Kaaba.

C'est d’ailleurs ce que les misogynes musulmanes du monde entier disent lorsqu’ils refusent aux femmes l’accès des mosquées : pas assez de place. Toujours dans le cadre du pèlerinage, les discriminations sont flagrantes, à commencer par les restrictions et autre tracasseries infligées aux femmes seules dans l’obtention de l’autorisation, au motif qu’elle doive voyager avec un mahram. La femme qui accomplit le pèlerinage est évidemment mal intentionnée ; seule, elle est une dangereuse tentatrice, et même une prostituée potentielle, accompagnée, elle est simplement sous bonne garde, empêchée de s’adonner à ses diaboliques passions. En attendant, les Saoudiens continueront à aller à l’étranger pour voir des films, les cinémas étant interdits dans leurs pays. Les femmes sont peut-être diaboliques, mais on n’ose imaginer dans quel état mental les hommes de se pays doivent se trouver.

Mais revenons à ce qui nous occupe. On comprend qu’étant privées des libertés les plus élémentaires, les femmes saoudiennes n’aient aucune chance de prétendre à l’exercice du pouvoir politique. C’est d’ailleurs le cas pour l’ensemble des pays du Golfe où on compte une femme juge et une femme ministre du Commerce aux Emirats arabes unis, et une ambassadrice du Bahreïn aux Etats-Unis qui serait de confession juive.

Pour autant que l’Arabie saoudite reste prisonnière d’un système archaïque d’autant plus résistant qu’il fonde le royaume et le légitime, les réformettes actuelles doivent être prises au sérieux lorsqu’on connaît les orientations libérales de l’actuel roi, Abdallah, qui a fait de l’émancipation des femmes l’une de ses priorités.

Noura Al Fayez, 52 ans, ancienne directrice de l’Institut de l’administration publique, avait fait ses études aux Etats-Unis.

La nomination d’une femme ministre est un évènement majeur dont les Saoudiens libéraux et les femmes bien sûr espèrent  qu’il inaugure d’autres avancées futures dans le domaine de l’émancipation féminine. On pense notamment à toutes ces femmes diplômées –elles représentent les trois-quarts-, et dont certaines sont obligées de s’expatrier pour travailler.

Les femmes sont également redevables au roi d’accéder enfin aux professions juridiques, aux métiers du tourisme, mais aussi à l’autorisation accordée aux femmes chefs d’entreprises de voyager sans un accompagnateur masculin, sans mahram donc, et même l’ouverture à Riyad, d’un hôtel réservé aux femmes. Oui, il faut savoir qu’étant interdites de voyage et de libre circulation, les femmes n’ont logiquement pas le droit d’aller dans un hôtel. On ne sait jamais, on prendrait le risque d’accueillir une fugueuse, ou pire, une fornicatrice.

Il reste que la féminisation même de la fonction de la nouvelle ministre, en quelque sorte déléguée du ministre de l’éducation aux affaires des femmes, atteste des résistances mais aussi des limites de la portée du changement.

En déclarant « Nous avons longtemps souffert qu’un homme occupe ce poste. La femme connaît les problèmes et les défis que rencontrent ses concitoyennes », Noura Al Fayez laisse entendre que l’avancée tient au fait qu’une femme est mieux à même de s’occuper des femmes, autrement dit que cette division sexuelle du travail favorise les femmes au lieu de les desservir, ce qui est sûrement vrai dans l’absolu, mais dans la situation présente qui s’applique à une société fondée sur la ségrégation. sexuelle, ou plus exactement une société monosexuelle, pour reprendre le concept de Hassan Al-Banna, mujtama’ ‘infirâdi, une société d’hommes qui condescend avec beaucoup de réticences à tolérer que la deuxième partie de la société, les femmes, puissent accéder à quelques miettes, de leur côté, à part, en parallèle, entre elles. C’est ce schéma ségrégationniste qui se dessine avec l’ouverture d’un hôtel pour femmes, et surtout la scolarisation scandaleusement tardive des filles, avec des écoles séparées, et dans le cadre de la réforme déjà amorcée par l’actuel roi, du projet d’université pour les filles, qui ouvrira en 2010.

Evidemment, notre premier réflexe est de saluer cette décision qui permettra enfin aux jeunes saoudiennes qui n’ont pas la chance de voyager, de faire des études supérieures. Mais enfin, séparés pendant toute leur jeunesse et leurs études, on ne voit pas comment les hommes et les femmes pourraient être amenés un jour prochain à travailler côte à côte sans développer de graves pathologies.

Pour autant que les choses bougent, disons que le clivage hommes/femmes reste déterminant dans une société qui n’est pas prête à concevoir que le domaine de l’éducation puisse être conçu de manière égale, abstraite, et universelle.

Détail non négligeable : c’est la compétence et le mérite personnel qui ont joué dans la nomination de Noura Al Fayez, comme dans les remaniements opérés, ce qui est un gage de rationalité dans ces décisions qui touchent quatre ministères sensibles et particulièrement importants pour les libertés individuelles et la condition et le statut de la femme, des portefeuilles contrôlés par les religieux les plus réactionnaires : l’éducation, la justice, la santé et l’information.

On apprend ainsi le départ du cheikh Saleh al-Louhaidan, le chef du Conseil supérieur de la magistrature, qui serait à l’origine du blocage de toutes les tentatives de réformes précédentes. En septembre dernier, cet homme qui occupait ce poste-clé depuis quarante ans, n’avait pas hésité à déclarer qu’il fallait exécuter les propriétaires de chaînes satellitaires qui diffusent  des émissions « immorales ».

Autre limogeage important : celui du chef de la police des moeurs, la fameuse Commission pour la prévention du bien et la prévention du mal, cheikh Ibrahim al-Gheith, fonction confiée à Abdel Aziz al-Houmain.

Le remplacement du directeur de l’organisation des droits de l’Homme témoigne également du souci du roi de réagir aux critiques et aux condamnations de l’Arabie saoudite où on compte 102 exécutions en 2008 et 153 en 2007.

Que conclure de tout ceci ? Le problème n’est pas de dire non à des réformes, aussi timides et aussi prudentes et aussi insuffisantes soient-elles, mais de s’interroger d’une part sur la possibilité pour ce pays d’évoluer en l’absence d’un chef réformateur, et sur la capacité réelle du roi Abdallah à changer le pays en profondeur. Dans le fond, qu’un prince éclairé émerge de temps à autre dans un pays aussi dramatiquement bloqué, n’a rien d’étonnant. Le problème n’est pas seulement qu’un homme seul n’a pas les ressources suffisantes pour venir à bout de tout un système, mais l’ironie qui se dégage de cette leçon de l’histoire : Abdallah, le roi héritier du royaume fondé par et sur l’alliance entre les Ibn Séoud et l’obscur fondateur du wahhabisme, ne peut pas délier ce que ses ancêtres ont lié.

Abdallah a beau être le monarque d’un pays qui porte le nom de sa famille, qui a été fondé par sa famille, celle-là même qui détient les postes de décision les plus importants, il lui faudra une longévité importante, beaucoup de courage et de détermination et une forte dose de chance, pour réussir à ébranler l’édifice construit par son arrière grand-père et qui est devenu le géant qu’on connaît aujourd’hui, grâce à une poignée de prédicateurs bédouins et beaucoup de pétrole.

 

Leïla Babès le 18/02/2009

 

 

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