une femme ministre
Une femme ministre en Arabie saoudite
La nomination pour la première fois dans l’histoire de ce pays, d’une
femme, au gouvernement saoudien, sonne comme une révolution. Du moins, c’est la
première impression qui s’en dégage, tant le royaume wahhabite, probablement le
plus misogyne qui soit, fondé par une vision obscurantiste, nous avait habitués
à toutes sortes de discriminations et de vexations à l’égard des femmes.
Dans le cadre d’un important remaniement ministériel, le roi Abdallah a procédé samedi dernier à la nomination de Noura Al-Fayez, au poste de vice-ministre de
l'éducation, enfin, plus exactement, chargée des affaires des filles, ce qui
semble salué par les militants progressistes de ce pays comme une victoire, ce qui peut se comprendre, pour un pays où les femmes n’ont pas
le droit de travailler et dans le meilleur des cas, de parler ou de fréquenter
les mêmes espaces que les hommes, de circuler, de voyager et de se soigner sans
être accompagnées de leur mahram –un mari, père, frère, oncle ou neveu-, de
conduire une voiture, et bien évidemment, sont obligées de porter le
voile, obligation qui incombe d’ailleurs à toutes les femmes, y compris les non
musulmanes qui foulent le sol saoudien, sauf les hôtesses de l’air, les
compagnies aériennes ayant décidé de ne mettre dans les vols à destination de
ce pays, que des stewards, des hommes donc. Ce qui prouve à l’évidence que l’islam n’a rien à voir avec ça puisque
c’est l’ensemble du genre féminin, musulmanes ou pas, qui fait l’objet d’une
névrose obsessionnelle collective.
Dans le royaume des Ibn Séoud, où la redoutable
police des mœurs, la toute puissante commission de la prescription du bien et
de la prévention du mal, du ‘amr bil-ma’rûf wal-nahy ‘an al-munkar, règne d’une
main de fer, comme si cela ne suffisait pas qu’elles soient seulement victimes
de discriminations et de privation grave de liberté, les femmes sont en plus
l’objet d’une véritable diabolisation. En voici quelques exemples :
Prenons d’abord l’interdiction pour les femmes de
conduire des voitures. Hypocritement, les hommes diront toujours que c’est pour
les protéger. En réalité, dans un pays sans transports publics, privées
de ce droit, les femmes, tributaires du bon vouloir de leurs maris, frères ou
pères, sont tout simplement assignées à
ne pas se déplacer, et pour couronner le tout, leur revendication est assimilée
à une incitation au vice. La conduite pour une femme n’est pas seulement un
moyen d’émancipation, elle symbolise l’un des attributs de la virilité et du
pouvoir de l’homme.
On comprend que les
Saoudiennes passent beaucoup de temps sur internet, un refuge tout aussi mal
vu. Il y a un peu plus d’un an, une fatwa leur avait tout bonnement interdit
l’usage d’internet, sauf en présence d’un mahram, je cite « capable de
juger de sa débauche et de sa fourberie ». Cette fatwa faisait suite à une
autre fatwa qui portait sur la même interdiction en raison je cite « de la
perfidie des intentions de la femme ». Pas d’équivoque donc. Si la femme va
sur internet, ce n’est nullement pour s’instruire, s’informer, ou poursuivre
n’importe quel but respectable. De plus, elle est rusée et perfide, elle est
manipulatrice et recourt à des stratagèmes, bref, elle est tout sauf sincère et
digne de confiance, bref c’est le diable en personne. Dans le pays qui contrôle
les lieux saints de l’islam, des religieux prêchent impunément et
officiellement la haine et le mépris des femmes. Qu’on ne s’étonne pas alors
que l’arbitre d’un match amical de football ait refusé en septembre 2007, de
participer au jeu à cause de la présence, dans les gradins, d’une fillette de
12 ans, et que les autorités du stade aient demandé au père de faire sortir
l’enfant.
En
2002, alors que le feu avait pris dans le dortoir d’un collège de filles en
pleine nuit, la police des mœurs intervint pour empêcher la fuite des
adolescentes au motif qu’elles n’étaient pas suffisamment voilées, ce qui
conduisit à la mort dans l’incendie, de quinze d'entre elles. Pour assurer une
meilleure protection des collégiennes, le roi dût placer l’établissement sous
son autorité directe. Il suffit de se rappeler qu’en 1964, le roi Faysal avait
dû faire intervenir la Garde nationale pour ouvrir des écoles, même pas mixtes, juste réservées aux filles.
Même
dans le domaine des pratiques cultuelles où l’islam n’opère aucune différence
entre l’homme et la femme, les autorités saoudiennes trouvent le moyen
d’instaurer des discriminations, comme en 2006 lorsqu’ils ont interdit aux
femmes, officiellement par manque de place, l’accès de l'esplanade entourant la Kaaba. C'est d’ailleurs ce que les
misogynes musulmanes du monde entier disent lorsqu’ils refusent aux femmes
l’accès des mosquées : pas assez de place. Toujours dans le cadre du
pèlerinage, les discriminations sont flagrantes, à commencer par les restrictions
et autre tracasseries infligées aux femmes seules dans l’obtention de
l’autorisation, au motif qu’elle doive voyager avec un mahram. La femme qui
accomplit le pèlerinage est évidemment mal intentionnée ; seule, elle est
une dangereuse tentatrice, et même une prostituée potentielle, accompagnée,
elle est simplement sous bonne garde, empêchée de s’adonner à ses diaboliques
passions. En attendant, les Saoudiens continueront à aller à l’étranger pour
voir des films, les cinémas étant interdits dans leurs pays. Les femmes sont
peut-être diaboliques, mais on n’ose imaginer dans quel état mental les hommes
de se pays doivent se trouver.
Mais revenons à ce qui nous occupe. On comprend qu’étant privées des
libertés les plus élémentaires, les femmes saoudiennes n’aient aucune chance de
prétendre à l’exercice du pouvoir politique. C’est d’ailleurs le cas pour
l’ensemble des pays du Golfe où on compte une femme juge et une femme
ministre du Commerce aux Emirats arabes unis, et une ambassadrice du Bahreïn
aux Etats-Unis qui serait de confession juive.
Pour autant
que l’Arabie saoudite reste prisonnière d’un système archaïque d’autant plus
résistant qu’il fonde le royaume et le légitime, les réformettes actuelles
doivent être prises au sérieux lorsqu’on connaît les orientations libérales de
l’actuel roi, Abdallah, qui a fait de l’émancipation des femmes l’une de ses
priorités.
Noura Al
Fayez, 52 ans, ancienne directrice de l’Institut de
l’administration publique, avait fait ses études aux Etats-Unis.
La
nomination d’une femme ministre est un évènement majeur dont les Saoudiens
libéraux et les femmes bien sûr espèrent qu’il inaugure d’autres avancées futures dans
le domaine de l’émancipation féminine. On pense notamment à toutes ces
femmes diplômées –elles représentent les trois-quarts-, et dont certaines sont
obligées de s’expatrier pour travailler.
Les femmes
sont également redevables au roi d’accéder enfin aux professions
juridiques, aux métiers du tourisme, mais aussi à l’autorisation accordée aux
femmes chefs d’entreprises de voyager sans un accompagnateur masculin, sans
mahram donc, et même l’ouverture à Riyad, d’un hôtel réservé aux femmes. Oui,
il faut savoir qu’étant interdites de voyage et de libre circulation, les
femmes n’ont logiquement pas le droit d’aller dans un hôtel. On ne sait jamais,
on prendrait le risque d’accueillir une fugueuse, ou pire, une fornicatrice.
Il reste
que la féminisation même de la fonction de la nouvelle ministre, en quelque
sorte déléguée du ministre de l’éducation aux affaires des femmes, atteste des
résistances mais aussi des limites de la portée du changement.
En déclarant « Nous avons
longtemps souffert qu’un homme occupe ce poste. La femme connaît les problèmes
et les défis que rencontrent ses concitoyennes », Noura Al Fayez laisse entendre que l’avancée tient au fait qu’une
femme est mieux à même de s’occuper des femmes, autrement dit que cette
division sexuelle du travail favorise les femmes au lieu de les desservir, ce
qui est sûrement vrai dans l’absolu, mais dans la situation présente qui
s’applique à une société fondée sur la ségrégation. sexuelle, ou plus
exactement une société monosexuelle, pour reprendre le concept de Hassan
Al-Banna, mujtama’ ‘infirâdi, une société d’hommes qui condescend avec beaucoup
de réticences à tolérer que la deuxième partie de la société, les femmes,
puissent accéder à quelques miettes, de leur côté, à part, en parallèle, entre
elles. C’est ce schéma ségrégationniste qui se dessine avec l’ouverture d’un
hôtel pour femmes, et surtout la scolarisation scandaleusement tardive des
filles, avec des écoles séparées, et dans le cadre de la réforme déjà amorcée
par l’actuel roi, du projet d’université pour les filles, qui ouvrira en 2010.
Evidemment, notre premier réflexe est de saluer cette
décision qui permettra enfin aux jeunes saoudiennes qui n’ont pas la chance de
voyager, de faire des études supérieures. Mais enfin, séparés pendant toute leur jeunesse et leurs
études, on ne voit pas comment les hommes et les femmes pourraient être amenés
un jour prochain à travailler côte à côte sans développer de graves
pathologies.
Pour autant que les choses bougent, disons que le
clivage hommes/femmes reste déterminant dans une société qui n’est pas prête à
concevoir que le domaine de l’éducation puisse être conçu de manière égale,
abstraite, et universelle.
Détail non
négligeable : c’est la compétence et le mérite personnel qui ont joué dans
la nomination de Noura Al Fayez, comme dans les remaniements opérés, ce qui est un gage de rationalité dans ces
décisions qui touchent quatre ministères sensibles et particulièrement
importants pour les libertés individuelles et la condition et le statut de la
femme, des portefeuilles contrôlés par les religieux les plus
réactionnaires : l’éducation, la justice, la santé et l’information.
On apprend
ainsi le départ du cheikh Saleh
al-Louhaidan, le chef du Conseil supérieur de la magistrature, qui serait à
l’origine du blocage de toutes les tentatives de réformes précédentes. En
septembre dernier, cet homme qui occupait ce poste-clé depuis quarante ans,
n’avait pas hésité à déclarer qu’il fallait exécuter les propriétaires de
chaînes satellitaires qui diffusent des
émissions « immorales ».
Autre limogeage important : celui du chef de la
police des moeurs, la fameuse Commission pour la prévention du bien et la
prévention du mal, cheikh Ibrahim al-Gheith, fonction confiée à Abdel Aziz
al-Houmain.
Le remplacement du directeur de l’organisation des
droits de l’Homme témoigne également du souci du roi de réagir aux critiques et
aux condamnations de l’Arabie saoudite où on compte 102 exécutions
en 2008 et 153 en 2007.
Que
conclure de tout ceci ? Le problème n’est pas de dire non à des réformes,
aussi timides et aussi prudentes et aussi insuffisantes soient-elles, mais de
s’interroger d’une part sur la possibilité pour ce pays d’évoluer en l’absence
d’un chef réformateur, et sur la capacité réelle du roi Abdallah à changer le
pays en profondeur. Dans le fond, qu’un prince éclairé émerge de temps à autre
dans un pays aussi dramatiquement bloqué, n’a rien d’étonnant. Le problème
n’est pas seulement qu’un homme seul n’a pas les ressources suffisantes pour
venir à bout de tout un système, mais l’ironie qui se dégage de cette leçon de
l’histoire : Abdallah, le roi héritier du royaume fondé par et sur
l’alliance entre les Ibn Séoud et l’obscur fondateur du wahhabisme, ne peut pas
délier ce que ses ancêtres ont lié.
Abdallah a
beau être le monarque d’un pays qui porte le nom de sa famille, qui a été fondé
par sa famille, celle-là même qui détient les postes de décision les plus
importants, il lui faudra une longévité importante, beaucoup de courage et de
détermination et une forte dose de chance, pour réussir à ébranler l’édifice
construit par son arrière grand-père et qui est devenu le géant qu’on connaît
aujourd’hui, grâce à une poignée de prédicateurs bédouins et beaucoup de
pétrole.
Leïla Babès le 18/02/2009