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Le blog de Leïla Babès
1 novembre 2009

Kadhafi à l’ONU

 

Kadhafi à l’ONU : la malédiction des peuples du sud

images_Kadhafi

 

Kadhafi nous avait habitués à toutes sortes d’excentricités. On connaissait son look invraisemblable, ses déclarations tonitruantes, sa mégalomanie, et sa tente de bédouin. Il y a un peu de tout cela dans la dernière fantaisie du dirigeant libyen, qui vient de participer à l’assemblée des Nations unies. Cette fois, il s’est résigné à loger dans des bâtiments en dur, appartenant à la mission libyenne à Manhatan, après avoir successivement échoué à planter sa tente à Central Park en plein New York, sur un terrain, dans le New Jersey où il possède une propriété, et enfin à Bedford, dans le parc de la propriété d’un milliardaire.

 

Les dernières frasques du président libyen concernent tout simplement le discours dont il nous a gratifiés mercredi dernier à la tribune des Nations unies.

 

C’est un Kadhafi au visage bouffi, bafouillant, cherchant l’inspiration dans des papiers chiffonnés qu’il jetait par-dessus son épaule, qui s’est donné en spectacle devant une assistance étourdie par un discours-fleuve, aussi incohérent qu’ennuyeux.

 

Mais le clou du spectacle reste l’effondrement, au sens propre comme au figuré, de son interprète, qui a jeté l’éponge au bout de 75 minutes de discours, criant en arabe, en direct, et dans le micro : « Je n'en peux plus ! », se faisant remplacer au pied levé par un autre confrère de la délégation libyenne. On n’ose imaginer ce qui aurait pu arriver à l’un de ces 25 interprètes arabophones des Nations-Unies, si Kadhafi n’avait pas imposé les siens, pourtant censés plus à même de décrypter le galimatias en dialecte libyen de leur chef.  Le pauvre garçon à qui incomba cette lourde tâche, fut littéralement terrassé par les onomatopées, les chuchotements et les grognements qui ponctuaient un discours lui-même décousu. Il paraîtrait même que son remplaçant qui n’a assuré que les vingt dernières minutes, a failli subir le même sort.

 

Il est vrai qu’au bout d’une heure, Kadhafi a déclaré être fatigué en raison des effets du décalage horaire. Pourtant, à voir cette image saisissante d’un chef d’Etat empêtré dans un énoncé des plus confus, on se demande si le président libyen s’est simplement livré à une parodie de discours par pure provocation, ou s’il a encore toutes ses facultés mentales, ceci n’empêchant pas cela, au demeurant.

 

Sur le fond, Kadhafi a fait des propositions qui n’étaient pas toutes farfelues, loin s’en faut. Je passe sur les appels de type provocatoire comme la libération du président/trafiquant de drogue panaméen, Manuel Noriega, entre dictateurs, il faut s’entraider, n’est-ce pas ? Je ne m’arrêterais pas non plus sur la réouverture du dossier de l’assassinat de Kennedy et de Marthin Luther King, qui sont autant d’épées dans l’eau, ni sur le transfert du siège des Nations Unies de New York vers la Chine ou l'Inde, trop chimérique, en tous cas, déraisonnable quant au choix du premier pays, et prématuré pour ce qui est du second. Pas plus que je ne commenterais son idée que la grippe A est une arme militaire. La seule précision à apporter concerne la comparaison qu’il fait entre les Taliban qui ont selon lui le droit d’instaurer un Etat religieux, avec le Vatican. C’est d’ailleurs Kadhafi lui-même qui tombe dans son propre piège en posant la question : « Le Vatican constitue-t-il un danger pour nous? Non ! ». Précisément, le Vatican n’est un danger pour personne, parce qu’il a beau être un Etat, c’est un Etat qui ne gouverne pas les catholiques qui sont citoyens de leurs propres pays et qui restent libres, en vertu de l’ensemble des droits individuels dont ils disposent, d’adhérer ou non à la doctrine, et de pratiquer ou non. Lorsque les pays d’islam offriront les mêmes garanties, les Taliban et leurs émules ne seront plus qu’un souvenir, à l’instar de l’inquisition, des bûchers de sorcières et de la persécution des hérétiques.

 

Mais venons-en au point central du discours : la diatribe lancée contre les Nations-Unies. Kadhafi accuse l’institution de n’avoir pas été capable d’empêcher 65 guerres depuis sa création en 1945, et qualifie le Conseil de sécurité, de « Conseil de la terreur ». Mais passons sur la provocation. Sur le fond, sa proposition d’abolir le droit de veto conféré aux cinq membres permanents (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne et Russie), et/ou l’ouverture du Conseil de sécurité à de nouveaux membres, ne manque pas de pertinence.

 

Le président français, Nicolas Sarkozy, qui a pris la parole après lui, n’a d’ailleurs pas caché qu’il était lui-même favorable à la désignation de nouveaux pays comme membres permanents, en proposant un pays africain, un pays d’Amérique du sud, l'inde, le Japon et l'Allemagne, faisant dépendre la légitimité des Nations Unies d’une telle réforme.

 

La deuxième proposition qui retient l’attention est la création d’un Etat unique qui rassemblerait Juifs, musulmans, et chrétiens, en place et lieu d’Israël, qui s’appellerait « Isratine ». Le projet qui n’est d’ailleurs pas nouveau, mais guère réaliste dans l’état actuel des choses, Kadhafi l’envisage dans un cadre communautariste, à l’exemple du Liban.

 

On ne discutera pas non plus ce point, l’intérêt ici n’est pas tant de décrypter ce qui s’est dit dans l’enceinte des Nations-Unies, que de rappeler, à travers le cas de Kadhafi, à quel point la cause des peuples du sud, et tout particulièrement les peuples arabes et musulmans, peut être desservie par leurs propres dirigeants. Pour ne prendre que cet exemple, la proposition de fédérer israéliens et palestiniens dans un même Etat démocratique est une bouffée d’oxygène, comparée aux sempiternelles jérémiades contre Israël auxquelles les dirigeants arabes nous ont habitués, il suffit d’avoir à l’esprit les déclarations antisémites de l’égyptien Farouk Hosni qui lui ont valu d’échouer à prendre la direction de l’Unesco, ou mieux encore, la croisade contre Israël à laquelle s’est encore livré Ahmadinéjad, dans la même enceinte, et le même jour.
Tout ça pour dire que même lorsqu’il dit des choses sensées, un Kadhafi ne sera jamais pris au sérieux. D’abord à cause de cette désinvolture faite d’arrogance et de manque de sérieux : comme de balancer ses notes aux quatre vents, ou pire encore, de mettre Obama dans l’embarras en l’appelant « mon fils », à l’heure où le président américain a beaucoup de mal à faire passer sa réforme de la santé pour donner une protection sociale à quelques 40 millions de laissés pour compte. Déjà qu’il passe pour un communiste et qu’il est soupçonné d’être malgré tout musulman, voilà qui donnera du grain à moudre à ses détracteurs.

 

Ensuite, parce que Kadhafi, comme beaucoup de dirigeants arabes et musulmans, incapables de quitter le registre de l’émotionnel, plus d’ailleurs par démagogie et par populisme que par conviction véritable, attaque, provoque et choque au lieu de défendre son point de vue ou la cause des peuples qu’il prétend représenter en s’élevant à la hauteur du langage diplomatique.

 

Lorsqu’ils seront à même de relever ce défi civilisationnel, les représentants des pays du sud seront applaudis par ceux-là même qu’ils fustigent, au lieu de les voir quitter la salle, les uns après les autres.

 


Leïla Babès le 30/09/2009

 


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