Kadhafi à l’ONU
Kadhafi à l’ONU : la malédiction des peuples du sud
Kadhafi nous avait habitués à toutes sortes d’excentricités.
On connaissait son look invraisemblable, ses déclarations tonitruantes, sa
mégalomanie, et sa tente de bédouin. Il y a un peu de tout cela dans la
dernière fantaisie du dirigeant libyen, qui vient de participer à l’assemblée des
Nations unies. Cette fois, il s’est résigné à loger dans des bâtiments en dur,
appartenant à la mission libyenne à Manhatan, après avoir successivement échoué
à planter sa tente à Central Park en plein New York, sur un terrain, dans le
New Jersey où il possède une propriété, et enfin à Bedford, dans le parc de la
propriété d’un milliardaire.
Les dernières frasques du président libyen concernent
tout simplement le discours dont il nous a gratifiés mercredi dernier à la
tribune des Nations unies.
C’est un Kadhafi au visage bouffi, bafouillant,
cherchant l’inspiration dans des papiers chiffonnés qu’il jetait par-dessus son
épaule, qui s’est donné en spectacle devant une assistance étourdie par un
discours-fleuve, aussi incohérent qu’ennuyeux.
Mais le clou du spectacle reste l’effondrement, au
sens propre comme au figuré, de son interprète, qui a jeté l’éponge au bout de
75 minutes de discours, criant en arabe, en direct, et dans le micro :
« Je n'en peux plus ! », se faisant remplacer au pied levé par un
autre confrère de la délégation libyenne. On n’ose imaginer ce qui aurait pu
arriver à l’un de ces 25 interprètes arabophones des Nations-Unies, si Kadhafi
n’avait pas imposé les siens, pourtant censés plus à même de décrypter le
galimatias en dialecte libyen de leur chef. Le pauvre garçon à qui incomba cette lourde
tâche, fut littéralement terrassé par les onomatopées, les chuchotements et les
grognements qui ponctuaient un discours lui-même décousu. Il paraîtrait même
que son remplaçant qui n’a assuré que les vingt dernières minutes, a failli
subir le même sort.
Il est vrai qu’au bout d’une heure, Kadhafi a déclaré
être fatigué en raison des effets du décalage horaire. Pourtant, à voir cette
image saisissante d’un chef d’Etat empêtré dans un énoncé des plus confus, on
se demande si le président libyen s’est simplement livré à une parodie de discours
par pure provocation, ou s’il a encore toutes ses facultés mentales, ceci
n’empêchant pas cela, au demeurant.
Sur le fond, Kadhafi a fait des propositions qui
n’étaient pas toutes farfelues, loin s’en faut. Je passe sur les appels de type
provocatoire comme la libération du président/trafiquant de drogue panaméen,
Manuel Noriega, entre dictateurs, il faut s’entraider, n’est-ce pas ? Je
ne m’arrêterais pas non plus sur la réouverture du dossier de l’assassinat de
Kennedy et de Marthin Luther King, qui sont autant d’épées dans l’eau, ni sur
le transfert du siège des Nations Unies de New York vers
Mais venons-en au point central du discours : la
diatribe lancée contre les Nations-Unies. Kadhafi accuse l’institution de
n’avoir pas été capable d’empêcher 65 guerres depuis sa création en 1945, et qualifie
le Conseil de sécurité, de « Conseil de la terreur ». Mais passons
sur la provocation. Sur le fond, sa proposition d’abolir le droit de veto
conféré aux cinq membres permanents (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne
et Russie), et/ou l’ouverture du Conseil de sécurité à de nouveaux membres, ne
manque pas de pertinence.
Le président français, Nicolas Sarkozy, qui a pris la
parole après lui, n’a d’ailleurs pas caché qu’il était lui-même favorable à la
désignation de nouveaux pays comme membres permanents, en proposant un pays
africain, un pays d’Amérique du sud, l'inde, le Japon et l'Allemagne, faisant
dépendre la légitimité des Nations Unies d’une telle réforme.
La deuxième proposition qui retient l’attention est
la création d’un Etat unique qui rassemblerait Juifs, musulmans, et chrétiens,
en place et lieu d’Israël, qui s’appellerait « Isratine ». Le projet
qui n’est d’ailleurs pas nouveau, mais guère réaliste dans l’état actuel des
choses, Kadhafi l’envisage dans un cadre communautariste, à l’exemple du
Liban.
On ne discutera pas non plus ce point, l’intérêt ici
n’est pas tant de décrypter ce qui s’est dit dans l’enceinte des Nations-Unies,
que de rappeler, à travers le cas de Kadhafi, à quel point la cause des peuples
du sud, et tout particulièrement les peuples arabes et musulmans, peut être
desservie par leurs propres dirigeants. Pour ne prendre que cet exemple, la
proposition de fédérer israéliens et palestiniens dans un même Etat
démocratique est une bouffée d’oxygène, comparée aux sempiternelles jérémiades
contre Israël auxquelles les dirigeants arabes nous ont habitués, il suffit
d’avoir à l’esprit les déclarations antisémites de l’égyptien Farouk Hosni qui
lui ont valu d’échouer à prendre la direction de l’Unesco, ou mieux encore,
la croisade contre Israël à laquelle s’est encore livré Ahmadinéjad, dans la
même enceinte, et le même jour.
Tout ça pour dire que même lorsqu’il dit des choses sensées, un Kadhafi ne sera
jamais pris au sérieux. D’abord à cause de cette désinvolture faite d’arrogance
et de manque de sérieux : comme de balancer ses notes aux quatre vents, ou
pire encore, de mettre Obama dans l’embarras en l’appelant « mon
fils », à l’heure où le président américain a beaucoup de mal à faire
passer sa réforme de la santé pour donner une protection sociale à quelques 40
millions de laissés pour compte. Déjà qu’il passe pour un communiste et qu’il
est soupçonné d’être malgré tout musulman, voilà qui donnera du grain à moudre
à ses détracteurs.
Ensuite, parce que Kadhafi, comme beaucoup de
dirigeants arabes et musulmans, incapables de quitter le registre de
l’émotionnel, plus d’ailleurs par démagogie et par populisme que par conviction
véritable, attaque, provoque et choque au lieu de défendre son point de vue ou
la cause des peuples qu’il prétend représenter en s’élevant à la hauteur du
langage diplomatique.
Lorsqu’ils seront à même de relever ce défi
civilisationnel, les représentants des pays du sud seront applaudis par ceux-là
même qu’ils fustigent, au lieu de les voir quitter la salle, les uns après les
autres.
Leïla Babès le 30/09/2009