Apprentis sorciers
Apprentis
sorciers d’extrême-droite
S’il est vrai que les élections européennes n’ont
jamais vraiment passionné les électeurs français, ce n’est pas la morosité dans
laquelle s’est déroulée l’actuelle campagne qui leur donnera envie de se rendre
aux urnes dimanche prochain, pour élire leurs députés.
Une majorité essoufflée qui ne parvient pas à
mobiliser, une opposition sans chef et sans projet, bref, des partis qui
peinent à mobiliser, et à l’exception des verts, particulièrement engagés sur
les questions qui touchent à l’Europe, rien d’étonnant à ce que les français ne
se sentent guère concernés.
C’est durant ces périodes de déprime que les extrêmes
se constituent ou renaissent de leurs cendres. Il ne s’agit pas cette fois du Front
national, mais d’une liste qui se présente en Ile de France, sous le label antisioniste.
A la tête de cette liste : l’humoriste Dieudonné
M’bala M’bala, plusieurs fois condamné pour incitation à la haine raciale,
propos injurieux et antisémites, Alain Soral, un ancien communiste passé par le
Front national, et Yahia Gouasmi, une cinquantaine d’années, leader d’une
association chiite, le Centre Zahra, et fondateur du Parti antisioniste, créé
pendant les attaques israéliennes sur Gaza.
Dans ce cocktail détonnant conduit par un métis de
père camerounais, plus connu pour son outrance que pour ses sketches, un
journaliste attiré par les extrêmes (de gauche comme de droite), et un militant
associatif Maghrébin chiite inconnu jusqu’ici, mais dont on dit qu’il est
téléguidé par l’Iran, quel est donc le rapport avec le sionisme dans ces
élections européennes ?
Dans les discours de ces trois militants, il y a même
leitmotiv : le lobby sioniste. C’est Yahia Gouasmi, sans doute parce qu’il
apporte la caution arabe musulmane, qui exprime le mieux le projet de cette
coalition hétéroclite.
Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une déclaration
de guerre aux Juifs –bien qu’ils se défendent de tout antisémitisme-, adossée à
la bonne vieille thèse du complot sioniste mondial. En résumé, et pour reprendre
les propres termes de l’auteur de ce discours : les sionistes sont
partout, ils ont gangréné la société française, ils gèrent tout, contrôlent le
gouvernement, les médias, l’éducation et l’ensemble de la vie. Derrière chaque
problème, il y a les sionistes lesquels sont responsables de tout, même des
divorces. Ils sont venus d’Israël, ont importé le conflit, et à présent
ils menacent la paix civile avec leurs manifestations.
La France et l’Europe qui
soutiennent Israël, sont de ce fait responsables des crimes perpétrés contre le
peuple palestinien.
Voilà pour l’essentiel. On aurait pu s’attendre, de
la part d’un arabe ou d’un musulman, particulièrement touché par la cause
qu’il prétend défendre, à un projet d’aide aux Palestiniens, à contribuer par
exemple à la création d’un Etat, au lieu de cette rhétorique de haine et de
paranoïa.
Trois choses frappent dans ce discours : d’abord
à aucun moment, l’homme ne parle des Juifs comme de citoyens français, au
contraire, l’opposition qu’il établit entre les sionistes et les Français
renvoie l’ensemble des Juifs à un statut d’allogènes, d’étrangers. Ensuite, il
y a le ton apocalyptique du désastre annoncé, comme l’indique le qualificatif
de « bête immonde », référence biblique à l’Apocalypse de Jean, et à
la fois à l’expression du dramaturge allemand Brecht, qui la réservait au
fascisme.
Et enfin, alors même qu’il accuse les Juifs d’avoir
transposé le conflit israélo-palestinien sur le sol français, c’est à une
véritable guerre de religions qu’il en appelle, en s’adressant aux chrétiens
qu’il compare aux Palestiniens et entend rallier à sa cause. En fait, il n’y a
pas de place pour les citoyens dans cette vision du monde, mais une ligne de
fracture entre les sionistes –le terme est évidemment un euphémisme politiquement
correct pour Juifs-, et les autres, les musulmans d’abord, qu’il prétend
représenter, même s’il ambitionne avant tout d’unifier les chiites de France,
et les chrétiens qu’ils présentent comme les vrais français, victimes des
Juifs. Le but étant, de « résister
et d’extraire les racines de ce mal », d’aider notre nation à « se
libérer en adhérant à ce nouveau parti politique libérateur et antisioniste ».
Dire que le centre chiite Zahra, dont il est le fondateur, se présente comme un
« centre de conciliation pour la mémoire de l’homme », voilà qui est
un comble. En fait, le slogan de cette association : la prescription du
convenable et l’interdiction du blâmable : al ‘amr bil-ma’rûf, wal-nayh
‘an al munkar. Et pour finir, l’homme se veut, excusez du peu, le représentant
du renouveau de la conscience nationale.
Que conclure de tout ceci ? Certes, il ne s’agit
là que d’un groupuscule, une alliance hétéroclite d’extrémistes en tous genres,
et si Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée n’avait pas il y a
quelques semaines, évoqué une possible interdiction de cette liste, vainement
d’ailleurs puisqu’elle a été finalement autorisée, créant ainsi la polémique,
peu de gens auraient eu vent de son existence.
En attendant, elle a reçu le soutien, depuis sa
cellule, du terroriste Carlos, et du président du front national, Jean-Marie
Le Pen.
S’agissant de ce parti antisioniste dont la fonction
est de servir de caution tout à la fois religieuse et communautaire et
d’argument de la victime empirique, on est frappé par le contraste entre la
représentation réelle de ce mouvement –insignifiante pour tout dire-, et
l’agressivité du discours, l’arrogance même de l’offensive. Que dire de plus à
par ce constat affligeant : l’islam n’en peut plus d’être instrumentalisé par
toutes sortes d’apprentis-sorciers : pouvoirs, clergés, terroristes,
tueurs en série, psychopathes, dictateurs, fascistes, antisémites, délinquants,
convertis de la dernière heure, opportunistes en tous genres et aventuriers
politiques.
Leïla Babès le 03/06/2009