Bombay
Attentats
de Bombay : la laïcité, enjeu crucial pour l’Inde
Les attentats commis à Bombay entre mercredi et
samedi, et qui ont fait 188 morts, et plus de 300 blessés, posent de nouvelles
interrogations sur l’évolution du terrorisme islamique dans un sous-continent
indien miné par les affrontements entre musulmans et indous, depuis la
l’indépendance et la partition en 1947, entre l’Inde et le Pakistan.
Certes, de nombreux autres attentats à la bombe et
des attentats-suicides ont été perpétrés ces dernières années à Jaipur,
Bangalore, Ahmedabad et New Delhi, dans des marchés et des lieux publics, et
même contre le Parlement fédéral, en 2001, mais ces actes visaient le plus
souvent des cibles gouvernementales ou militaires, pas des civils.
Le caractère inédit des derniers attentats de Bombay
tient au fait que les auteurs sont des commandos entraînés et fortement armés
qui ont mené une dizaine d’attaques simultanées avec prises d’otages visant
notamment un restaurant et deux hôtels de luxe.
Les 29 morts étrangers recensés parmi les victimes,
ainsi que l’attaque visant un centre de juifs orthodoxes ont donné
immédiatement une ampleur internationale, ce que semble contredire la nature de
la cible réelle que visaient les terroristes, tous pakistanais : l’Inde.
Les attentats visant la gare centrale de Bombay ainsi
qu’un hôpital, par des tirs aveugles contre des civils, tuant 50 personnes en
quelques secondes, témoignent
d’autre part de l’escalade dans la violence et la cruauté de ces commandos dont
les forces de police et les corps d’élite ne sont venus à bout qu’après plus de
soixante heures de combats. Enfin, le fait que ces attaques se soient produites
à Bombay, une mégapole forte de 15 millions d'habitants et siège de la plus
grosse industrie cinématographique au monde, donne une tournure d’autant plus
dramatique à ces actes de terreur.
Les auteurs des attentats feraient partie de l’organisation terroriste pakistanaise,
Lashkar-e-Taiba, en langue urdu, l’armée de Dieu. Fondé à Lahore en 1990, ce
mouvement extrémiste, connu pour soutenir le mouvement indépendantiste du
Cachemire, cette vaste région dont les deux puissances régionales se disputent la
souveraineté depuis l’indépendance, est responsable de plusieurs attaques sur
le sol indien, dont l’attentat contre le Parlement en 2001. Le Lashkar-e-Taiba serait
soutenu par les services secrets pakistanais, très actifs dans le financement
du terrorisme au Pakistan et en Afghanistan.
C’est dire d’une part, à quel point ces derniers
attentats, par la sophistication des méthodes utilisées, donnent plus aisément
une dimension régionale plus dangereuse que ne le laissaient supposer les
attaques précédentes, d’autre part, que malgré ses dénégations, le Pakistan, et
plus précisément ses services militaires, a une responsabilité historique dans
le terrorisme dans cette région.
Malgré la bonne volonté du président
pakistanais, Asif Zardari, l’époux de la
défunte Benazir Butto, et le rapprochement qu’il a fait avec le voisin indien,
l’éventualité d’une guerre n’est pas à écarter si on considère la faiblesse du
gouvernement face à une armée qui menace de s’avancer sur la frontière et
d’autre part le danger que représentent les nationalistes indous, dont le
Bharatiya Janata Party, opposés à toute idée de compromis avec les musulmans indiens
et tout particulièrement le Pakistan.
De là à penser, comme l’avancent des sources
pakistanaises, que ces attentats avaient pour but de stopper le rapprochement
entre les deux pays, voilà qui est fort probable.
Ce qui est sûr, c’est que la situation actuelle met
en péril le processus de paix amorcé entre les deux puissances, détentrices
toutes deux de la bombe nucléaire.
Ces attentats mettent également en évidence la fragilité du système politique indien, avec une démographie qui dépasse le milliard, la deuxième nation la plus peuplée après la Chine, son fédéralisme, ses 4000 langues (dont 23 officielles), son vieux système de caste qui perdure malgré l’interdiction, ses religions, son économie en pleine expansion mais aussi sa misère avec son lot de discriminations et d’injustices.
Ils rappellent aussi que bien que minoritaires, (ils
sont près de 14%), les musulmans représentent 150 millions, ce qui fait de
l’Inde le troisième pays musulman du monde derrière l’Indonésie et le Pakistan.
En théorie laïque, l'Etat fédéral indien voit sa neutralité de plus en plus
remise en question par le développement des mouvements nationalistes indous, et
les massacres de musulmans restent presque toujours impunis. Ainsi, en
2002, près de 2000 indiens de confession musulmane ont
été exterminés dans le Goujarat, dans le nord-ouest du pays.
Dans ce riche Etat, dirigé par l'extrémiste hindou Narendra Modi, membre
de la Bharatiya
Janata Party, la minorité musulmane, tenue à l’écart de la
croissance économique, subit toutes sortes de discriminations.
Il est à craindre que ce parti qui sera de nouveau le
principal adversaire du Parti du Congrès au pouvoir lors des prochaines
législatives, toujours prompt à instrumentaliser la peur de l’islam, ne
parvienne à remporter les élections.
En clair, les enjeux sont incommensurables pour les
deux grandes puissances de la région. Ces pays ont tous deux intérêt à faire le
choix vital du compromis et conjuguer leurs forces dans la lutte contre le
terrorisme, sous toutes ses formes.
Leïla Babès le 03/12/2008