Intégration
Intégration :
et les Français alors ?
La publication du décret qui vient modifier les
modalités d’entrée et de séjour des étrangers, en complément de la loi sur
l’immigration du 20 novembre 2007, soulève des interrogations qui vont bien
au-delà de la question migratoire et des lois restrictives à laquelle la
politique de Sarkozy nous avait habitués.
Inscrite dans le cadre de « la préparation de
l'intégration en France des étrangers souhaitant s'y installer
durablement », le texte reprend et complète les mesures relatives à
l’immigration choisie, rendant obligatoire l'évaluation, non seulement du « degré
de connaissance de la langue française », mais aussi celui des valeurs de la République.
L'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des
migrations (ANAEM), chargée de procéder à ces évaluations, doit également
examiner les dossiers des étrangers au titre du regroupement familial ou en
qualité de conjoints de Français, selon les mêmes critères, dans les soixante
jours suivant la délivrance de l'attestation de dépôt de la demande de visa. Il
est prévu que dans le cas où le candidat présente « un degré
insuffisant » de connaissance de la langue française ou des « valeurs
de
A vue de nez, ces nouvelles mesures n’ont rien de
bien surprenant, et on pourrait même se féliciter de la procédure
d’accompagnement et d’aide offerte à des candidats à l’immigration qui
n’auraient pas le niveau de compétence ou de connaissance requis. Sauf à
considérer qu’une quarantaine d’heures d’enseignement incluant aussi bien la
langue que les principes républicains ne saurait raisonnablement profiter qu’à
ceux qui possèdent déjà un certain bagage intellectuel.
On pourrait également se réjouir que des étrangers
désirant vivre en France ne soient plus dans l’ignorance des principes et des
valeurs qui fondent la société d’accueil et que ceci les aidera à mieux s’intégrer.
Mais exiger que des étrangers candidats à
l’immigration puissent maîtriser après une demi-journée de formation (comme le
prévoit le décret), non seulement l’égalité hommes/femmes, et la laïcité, mais
aussi le respect des droits individuels et collectifs, les libertés publiques,
la sécurité et la sûreté des personnes et des biens et les règles régissant l'éducation
des enfants, alors que des pans entiers de la population française, et ça ne
concerne pas uniquement les personnes issus de l’immigration, présentent un
déficit flagrant dans ce domaine, voilà qui paraît aussi chimérique
qu’hypocrite.
Pour ne citer que les deux principes qui font l’objet
de la plus grande attention, l’égalité hommes/femmes, et la laïcité, il y
aurait beaucoup à dire sur les lacunes et les manquements dont des français de
souche (comme on dit), de la société civile aussi bien que des milieux
politiques, font preuve.
Certes, ces deux valeurs, et tout particulièrement
l’égalité hommes/femmes qui est un principe fondateur des droits de l’Homme et
du citoyen, représentent des règles de droit essentielles dans les sociétés
démocratiques et sont depuis longtemps inscrites dans les textes.
Les discriminations en
matière de salaire, de promotion et de représentation politique témoignent du
fossé qui sépare la théorie de la réalité, et malgré les réformes sur la
parité, les femmes représentent à peine 12% au parlement, ce qui peut paraître
risible lorsqu’on songe au score accompli par les femmes rwandaises qui sont à
56% depuis les élections de septembre dernier.
S’agissant de la laïcité, dont on n’hésite pas à dire
qu’elle est rejetée par les étrangers et les populations issues de
l’immigration de confession musulmane, tous les débats qui ont eu lieu ces
dernières années autour des signes religieux à l’école ont montré une
lamentable ignorance de ses significations essentielles.
Pour la boutade, peut-être faudrait-il aussi
apprendre à ces étrangers le concept de laïcité positive que le président
Sarkozy affectionne tout particulièrement.
Plus sérieusement, ce projet est en totale
contradiction avec l’appellation du ministère de tutelle : le ministère de
l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale.
A moins que le deuxième terme, celui de l’intégration, n’ai été ajouté que pour servir d’alibi à une politique entièrement tournée vers la régulation de l’immigration, comme si les Français n’étaient pas concernés, ce qui donnerait un sens à cette loi et justifierait que l’intégration ne concerne que les nouveaux et futurs immigrés.
En attendant qu’une véritable pédagogie d’intégration
soit mise en place en direction de tous les laissés pour compte, il
conviendrait d’abord que les politiques soient eux-mêmes au clair avec ces
valeurs censées fonder la République, et qu’ils cessent de les défigurer et d’en
détourner le sens.
Leïla Babès le 05/11/2008