Evangélisation
Evangélisation
en Algérie :
liberté de
conscience et islamisation
Ce que révèle l’affaire Habiba Kouider, ce n’est pas
seulement l’âpreté du débat qui secoue en ce moment les Algériens sur la
liberté de conscience, c’est aussi les sources contradictions sur lesquelles le
système politique et juridique repose.
Depuis le début de cette affaire, cette timide et
discrète jeune femme a vécu un véritable cauchemar : son arrestation par
des gendarmes, au motif qu’elle détenait une Bible, les menaces proférées et
les humiliations pendant l’interrogatoire et l’entrevue avec le procureur, le recours aux Eglises
protestantes pour trouver un avocat qui accepte de la défendre, les sarcasmes
d’un juge qui perd son sang-froid face aux médias, et pour finir un procureur
qui requiert trois ans de prison ferme en rappelant que l’islam était religion
d’Etat.
Il n’est pas difficile d’imaginer les insultes
infamantes et autres formules de stigmatisation que la jeune femme a pu
entendre, les mots qu’on réserve généralement aux parias, à ceux qui
transgressent le ramadan, ou qui donnent simplement l’impression qu’ils sont de
l’autre côté de la barrière qui sépare les fidèles des mécréants. En tous cas,
un procès honteux où le juge, chargé d’appliquer la Loi , joue le rôle d’un
vulgaire lyncheur. Des pratiques hélas trop courantes, auxquelles nombre de
femmes vulnérables sont régulièrement confrontées, face à des magistrats ou des
avocats grossiers, dont le langage, au lieu d’être celui de la justice,
emprunte abondamment au registre de la rue. Habiba Kouider n’est pas la seule à provoquer les foudres
de la justice, ou plutôt la chasse aux sorcières qui s’est ouverte depuis
quelques mois, surtout dans l’Ouest du pays. Le pasteur américain Hugh Johnson,
ancien président de l'Église protestante d'Algérie est menacé d’expulsion, et
d’autres procès sont prévus dans les semaines à venir. Même les catholiques,
dont le moins qu’on puisse en dire est que leur prosélytisme est loin d’égaler
celui des protestants, ne sont pas épargnés, et subissent expulsions, rejet de
demandes de visas, et même emprisonnement.
Le prétexte, presque toujours le même : pratique
en dehors des lieux de culte réservés à cet effet, c’est-à-dire sans
autorisation, comme le prétend le ministre algérien des Affaires religieuses,
Bouabdallah Ghlamallah.
Quant à la loi adoptée en février 2006, et dont
on a dit qu’elle visait à garantir « la tolérance et le respect entre les
différentes religions », elle prévoit en fait une peine de 5 ans de prison et
une amende de 1 million de dinars (10 000 euros) contre toute
personne qui « incite ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un
musulman à une autre religion ».
Dans l’affaire de Habiba Kouider comme dans toutes
les condamnations qui ressortissent aux conversions, deux observations peuvent
être faites.
La condamnation pour pratique d’un culte non musulman
sans autorisation ne repose sur aucun texte de loi, conformément au principe de
droit selon lequel une peine ne peut être prononcée en l’absence de loi. Ce que
la loi de 2006 sanctionne, ce n’est pas le fait de détenir des documents
religieux, mais de les distribuer dans l’intention de convertir. C’est
d’ailleurs dans ce but, pour neutraliser le prosélytisme évangélique que la loi
a été adoptée.
Le problème, et c’est la deuxième observation, est
que cette loi contrevient à la Constitution qui stipule
dans son article 35 que « la liberté de conscience et la liberté d’opinion
sont inviolables ».
La Constitution étant la source supérieure, cette loi est donc
anti-constitutionnelle.
Hélas, ce n’est pas la première fois que la Constitution
algérienne est violée. Il suffit de rappeler les atteintes régulières au
respect des libertés individuelles et à l’égalité entre les citoyens, et tout
particulièrement entre les hommes et les femmes, 2 principes clairement énoncés
dans la Constitution ,
pour s’en convaincre. Il y a longtemps que le fameux code la famille, produit
des pressions islamistes, aurait dû être déclaré nul et non avenu.
Quant à l’argument selon lequel un tel dispositif
vise à contrecarrer les menées subversives des évangélistes américains pour
préparer une intervention militaire, tous ceux qui connaissent l’Algérie
comprendront que la théorie du complot cache la réalité d’un système empêtré
dans ses contradictions, et l’offensive des islamistes intérieurs, ceux qui
détiennent le pouvoir et les institutions de l’Etat. La guerre menée par le Fis
et ses satellites contre le peuple algérien, jusqu’à sa dernière créature qui
porte le label d’Al-Qa’ida, ses centaines de milliers de morts, tout ceci
n’aura servi à rien face au despote mégalomane d’El-Mouradia qui a décidé
d’accueillir au cœur de la cité les loups qui campaient à la périphérie, aidé
en cela par les loups à masque d’agneau : les FLnistes islamistes. D’ailleurs,
leur chef, l’inénarrable, Abdelaziz Belkhadem, chef du gouvernement, excusez du
peu, et dont le masque n’en finit pas de craqueler, a affirmé le 24 mai que la
société algérienne a pour Constitution… « le Coran, et qu’elle n’acceptera pas
d’en changer. Une façon directe et explicite de dire qu’il est temps d’appliquer
intégralement la shari’a. On le voit, le maître à penser du chef de l’exécutif
algérien n’est ni l’Emir Abdelkader, ni même le cheikh Abdelhamid Benbadis,
mais Hassan Al-Banna, le fondateur des Frères musulmans.
Dieu merci, oserais-je dire, l’Algérie n’est ni
l’Arabie saoudite ni l’Iran, ni même l’Egypte où les islamistes ont instauré un
Etat dans l’Etat. Personne n’a encore été exécuté ou jeté en prison pour
apostasie. Il est même salutaire que les Algériens débattent de la liberté de
conscience, un principe de liberté rejeté par l’ensemble des Etats musulmans.
Mais il faudra une mobilisation autrement plus importante pour contrecarrer le
projet d’islamisation totale qui se love au cœur même du pouvoir et en finir
avec le délire mystique qui s’est emparé du sombre et colérique personnage qui
préside au destin de la nation.
Leïla Babès le 28/05/2008