Voile...
Voile…
Le vote de la loi d’interdiction des signes religieux à
l’école avait, est-il besoin de le rappeler, suscité un tel tollé dans le monde
musulman qu’on en est venu à se demander si la France , jusque-là épargnée
par les critiques pour s’être notamment opposée à la guerre en Irak, n’allait
pas rejoindre le camp des puissances impopulaires comme la Grande Bretagne et
bien sûr les Etats-Unis d’Amérique. Qu’un haut dignitaire d’un courant spirituel qui a toujours
fait prévaloir l’intériorisation de la foi sur l’ostentation du rite, définisse
le voile comme un fondement de l’islam –quasiment comme un pilier de la foi ou
de la pratique-, est significatif du degré de sacralisation, auquel le voile a
été porté, un fait inédit dans toute l’histoire de l’islam. En vérité, toute cette querelle sur les prétendues atteintes
aux libertés religieuses cache mal le clivage entre partisans et opposants à la
laïcité. J’avais déjà eu l’occasion dans nombre de mes chroniques précédentes,
d’évoquer les dessous politiques et idéologiques qui ont agité et continuent
d’agiter les courants engagés dans ces débats. Paradoxalement, c’est dans tous ces pays qui n’ont pas fait
de la laïcité une référence systématique dans leur gestion des affaires dites
du voile, qu’on trouve parmi les opposants une extrême-droite très organisée,
xénophobe, anti-immigrée et a fortiori islamophobe. C’est donc surtout de burqa qu’il s’agit, ou encore de niqab,
du nom de ce masque fait de trous qui sert à cacher la face, et que portent les
femmes afghanes ou celles acquises aux conceptions salafistes. La plupart des
débats qui ont eu lieu ces derniers jours ou ces dernières semaines en Grande-Bretagne,
aux pays bas, en Belgique, et même en Egypte, ont été déclenchés à propos de la
voilette qui masque le visage et qui pose de sérieux problèmes quant à
l’identification de la personne. La démarcation entre la France
et le reste de l’Europe est claire quant à la gestion du fait religieux. Par
tradition laïque, la France
qui est, est-il besoin de le rappeler, le pays qui applique la plus stricte
séparation entre les deux sphères, religieuse et politique, et parce qu’elle
applique un modèle d’intégration citoyenne qui privilégie la dimension
universelle et abstraite de l’individu et non les critères confessionnels ou
ethniques, a géré au moindre coût les revendications communautaires ou
religieuses, et notamment les affaires dites du voile..Au-delà de toutes les critiques légitimes qui peuvent être
formulées sur la politique de tel ou tel gouvernement.
Le plus surprenant dans cette affaire, étaient les réactions
de personnalités connues pour leur appartenance à des milieux soufis comme le
cheikh Kaftaru, Grand mufti de Syrie, et guide spirituel de la confrérie des
Naqshabandiyya, qui avait déclaré que la loi avait porté atteinte à un
fondement important de la religion.
Mais il faut également rappeler que la loi avait provoqué
toutes sortes de réactions négatives en Europe, allant de l’incompréhension ou
du scepticisme, à la critique pure et simple du modèle français, jugé trop
singulier et trop radical. En France même, la polémique a apporté de l’eau au
moulin à des milieux politiques et médiatiques, qui emboîtant le pas à certains
courants islamiques, se sont engouffrés dans la disqualification du modèle de
laïcité français et l’éloge du système britannique, jugé plus libéral à l’égard
des religions.
J’avais pourtant la conviction, pour avoir fait des
conférences sur l’islam et la laïcité en Espagne, en Allemagne, en Italie et en
Belgique, avant et après le vote de la loi, qu’au-delà des critiques, il y a
avait de réelles inquiétudes et des interrogations sur la pertinence des
modèles politiques qui au contraire de la France , n’ont pas adopté une claire séparation
entre les religions et l’Etat.
Lorsque le mois dernier, Philippe de Villiers, président du
Mouvement pour la France et représentant d’une droite très conservatrice, a appelé à une interdiction du
voile islamique dans tous les lieux publics, prenant d’ailleurs mille
précautions pour ne pas faire d’amalgames entre islam et islamisme, sa
déclaration n’a suscité aucun mouvement d’adhésion.
Au demeurant, c’est ailleurs, dans la Belgique flamande que Mr
de Villiers est allé chercher l’inspiration depuis que pour des raisons de
sécurité, dans le cadre d’une enquête sur des réseaux terroristes, il a été
interdit aux femmes voilées de dissimuler leur visage dans les lieux publics.
En Grande-Bretagne, une institutrice auxiliaire a été suspendue
par un tribunal de première instance pour avoir refusé de retirer le niqab qui
couvre tout son corps, sa figure comme ses mains, dans sa classe. On se demande
ce que doivent ressentir les enfants face à une maîtresse d’école sans visage.
De la même manière, après plus de dix ans de discussion, le
gouvernement néerlandais a interdit le port de la burqa dans les lieux publics,
sous la pression de députés d'extrême droite. L'assassinat, en 2004, du
réalisateur Theo Van Gogh par un extrémiste musulman et les menaces dont des
hommes et des femmes politiques aux pays bas comme en Belgique, ont fait
l’objet, a contribué à renforcer le poids des partis d’extrême-droite.
En Allemagne, une élue verte a reçu des menaces pour avoir
critiqué le voile. En Italie c’est une députée du parti de la droite extrême, la Ligue du Nord, qui a été
placée sous protection policière après avoir été traitée d’infidèle, de kâfira,
lors d’un débat télévisé, par un imam de Milan, simplement pour avoir dit que
le voile n’était pas une prescription coranique.
Par ailleurs, sans écarter le danger réel des partis
d’extrême-droite qui peuvent encore menacer l’équilibre des pouvoirs, il reste
ce fait remarquable : contrairement au reste de l’Europe, c’est au nom des
valeurs républicaines que la grande majorité de la classe politique, de gauche comme
de droite, dans les gouvernements comme au parlement, gouverne et vote les
lois. En témoigne les menaces d’exclusion formulées par les responsables du
parti socialiste à l’égard du maire de Montpellier, Georges Frêche, qui a
exprimé récemment ses réticences à voir une équipe de France trop… disons,
colorée.
Du côté du monde musulman, ce qui vient de se passer en
Egypte atteste de l’évolution des esprits sur les questions qui touchent au
voile. Là aussi, c’est le port de la burqa (niqab) qui a déclenché la polémique
lorsque le président de l'université de Helwan, au sud du Caire, a exclu des
monaqqabates (en niqab) de la résidence universitaire, également pour des
raisons sécurité, soutenu en cela par le ministre de l'Education supérieure, le
ministre des biens religieux, et le cheikh Tantawi.
Bien que la critique ait porté essentiellement sur le niqab,
les déclarations de ces hauts dignitaires, religieux comme laïques, mettent
l’accent sur le primat de l’intériorité de la foi sur ses manifestations
extérieures. En plaçant le débat sur le terrain même de la religion, ces
positions de responsables politiques et religieux, dans ce grand pays qu’est
l’Egypte, fief des Frères musulmans, quasi-déculturé par les influences
salafistes, sont un souffle de bon sens, face à cette croyance déraisonnable
qui a fait du voile un fondement de l’islam.
Leïla Babès le 22/11/2006