Des hommes, des vrais ? Voire...
Des hommes, des vrais ? Voire…
Il y a quelques jours, un
chauffeur de taxi tunisois auquel je demandais son avis sur les Algériens,
présents en grand nombre en cette période de l’année dans ce pays, me fit part
de toute son admiration pour ce peuple fier et brave, si attaché aux bonnes
vieilles valeurs familiales. Tenez, l’Algérien est un homme, un vrai, qui
connaît le sens du mot honneur, d’ailleurs, la femme n’a qu’à bien se tenir.
Evitant de
m’aventurer sur le terrain glissant de la question féminine, je mis la
réflexion sur le compte de cette vieille rancœur masculine, caractéristique des
nostalgiques du machisme qui n’ont pas digéré les réformes engagées par le
défunt Bourguiba en faveur des femmes.
Mais quand le
deuxième, puis le troisième chauffeur me fit la même observation, je fus
frappée par l’image que les autres Arabes ont des Algériens, fussent-ils leurs
voisins immédiats.
Pour autant que le
trait soit exagéré, force est de reconnaître qu’il n’en pas moins juste. Mais
ce n’est pas tant sur le registre du rapport aux femmes qui n’est qu’un aspect
du problème que sur la dimension globale des mœurs que j’aimerais mettre
l’accent.
Car tout bien
considéré, les lois promulguées en faveur des droits des femmes n’impliquent
nullement un changement automatique des comportements masculins, ni même leur
acceptation comme le prouvent les réactions de ces chauffeurs tunisois, au
demeurant fort sympathiques. Allons plus loin : les lois seules ne
sauraient suffire à imposer un réel respect des femmes et de leurs droits si
elles ne s’accompagnent pas d’une politique qui allie conjointement éducation
citoyenne et engagement de l’autorité de l’Etat.
Le problème prend
une tout autre dimension si on l’étend à la question de l’éducation et du
civisme, et bien au-delà encore, aux mœurs, au sens où l’entendaient les
précurseurs de l’anthropologie culturelle tels Montesquieu, et bien avant lui,
notre Ibn Khaldoun local, c’est-à-dire à cet ensemble de conduites en société,
de règles de comportements, de manières d’être et de faire, dans toutes les
activités de la vie sociale et culturelle.
Et de ce point de
vue, nonobstant la question féminine et ses implications législatives, ce qui
est perçu comme bravoure et sens de l’honneur n’est que brutalité et
grossièreté. Au risque de glisser vers un culturalisme d’autant plus délicat à
soutenir que nous parlons là de peuples unis par cette vaste unité culturelle
qu’est le Maghreb, les Algériens –et dans une moindre mesure les Tunisiens
aussi et à bien des égards-, se distinguent par cette disposition à fleur de
peau à s’irriter et à provoquer en même temps. A contrario, il y a,
reconnaissons-le, une gentillesse et une douceur dans les manières des
Marocains dont les deux autres semblent dépourvus.
Il n’y a dans ce je
dis aucune généralisation, mais seulement le souci de dire les choses telles
qu’elles sont, c’est-à-dire comme une tendance générale, mais aisément
observable.
Des raisons
objectives peuvent justifier de tels comportements : les qualités
légendaires d’un peuple qui s’est battu courageusement pour sa liberté. Mais il
y a l’envers du décor.
Un nationalisme à
fleur de peau, d’autant plus problématique qu’il s’est construit d’une part
dans la violence, autour d’une guerre totale contre le colonialisme, et d’autre
part sur l’idée d’une nation à peine naissante.
Les raisons
objectives on le voit, sont bien réelles. Elles ne sauraient justifier en tout,
la grossièreté des fonctionnaires, l’agressivité des commerçants, les actes de
vandalisme sur les biens d’autrui et de l’Etat, la saleté dans les cages
d’escalier et sur les trottoirs, les enfants qui passent le plus clair de leur
temps dans la rue, et les gens qui hurlent pour un oui ou pour un non.
Ce n’est donc pas
un problème particulier de rapport aux femmes, bien que cet aspect en fasse
partie, mais une attitude globale. Si en plus, vous êtes une femme, et une
femme sans « représentant mâle », alors, vos chances de faire l’objet
du défoulement des nerveux en tous genres, sont décuplées.
Et à propos de
hurlements, tel chauffeur de taxi, algérien cette fois à qui je demandai les
raisons de la bagarre quand je vis un attroupement et entendis des éclats de
voix, me répondit, imperturbable et quelque peu étonné par ma question :
« mais non, ce ne sont que des amis qui viennent de se croiser ».
Imaginons donc ce que cela donne quand c’est une vraie bagarre.
Mais puisque toute
cette affaire a commencé avec la question des femmes, il faut bien se garder de
toute vision victimaire, car leur responsabilité est grande dans l’éducation.
Et de ce point de vue là, force est de constater qu’elles participent
grandement à toute cette laideur.
Leïla Babès le 16/08/2006