Pharaonne
Les intégristes, jaloux de la barbe de la Pharaonne
Parmi les nouvelles qui
nous sont parvenues durant la semaine qui vient de s’écouler, certaines sont à
couper le souffle. Extraordinaire, colossal, démesuré et tragique, tels sont
les qualificatifs qui viennent à l’esprit.
Il y a d’abord l’accession
d’une femme, Pratibha Patil, âgée 73 ans,
à la présidence de l’Inde, pour la première fois dans l’histoire de ce pays,
confirmant la tendance qui se dessine nettement depuis quelques années, de
l’arrivée des femmes au pouvoir, comme chefs d’Etat ou de gouvernement, mais
tout de même, il s’agit de l’Inde. Ensuite, la construction de la plus haute
tour du monde dans le petit Emirat de Dubaï, et puis, l’annonce officielle de l’épidémie
d’hépatite C qui touche 15 millions d’Egyptiens, soit près d’une personne
sur cinq.
Les raisons de cette
catastrophe sanitaire sans précédent sont elles aussi à couper le souffle.
C’est durant la campagne de vaccination lancée à partir des années 60 pour
endiguer cet autre fléau qui ravageait les populations vivant dans le delta du
Nil, la bilharziose, que la
contamination s’est produite, à
cause semble t-il de la réutilisation systématique de seringues non stériles.
Quelle ironie. Les conséquences désastreuses de l’erreur sanitaire, humaine
donc, dépassent de loin celles provoquées par les maladies endémiques qui
touchent les populations vivant autour du Nil, ce fleuve mythique qui donne la
vie et la mort, et dont l’Egypte est un don, comme disait Hérodote.
Quelle ironie aussi que les deux maladies, la
bilharziose et l’hépatite C, s’attaquent toutes deux au foie.
Sur un autre versant,
la science continue son avancée implacable.
Des équipes
pluridisciplinaires travaillant autour de paléo-pathologistes, grâce à la datation au carbone 14, la recherche génétique comme
l’ADN, les techniques de modélisation informatique, la parasitologie, l’étude de
pollen, et même le recours à des nez de parfumerie, réussissent à authentifier
des restes datant de plusieurs siècles et à déterminer avec précision la cause
de la mort.
C’est ainsi que la fameuse thèse de l’empoisonnement de Napoléon à
l’arsenic, dont les traces ont été retrouvés sur les cheveux, a été
sérieusement remise en question par une équipe de pathologistes suisses,
canadiens et américains, qui ont démontré grâce à des images numérisées, qu’il
est mort à la suite d’un cancer de l’estomac.
Encore faut-il que les restes étudiés soient effectivement ceux du grand
homme, puisqu’aucune recherche ADN n’a été menée pour authentifier la dépouille
de l’Empereur.
D’autres chercheurs n’ont-ils pas prouvé en avril dernier que les ossements
de Jeanne d’Arc, pieusement conservés à Chinon, après qu’ils aient été authentifiés
en 1909 par une commission papale, étaient en réalité ceux d’une momie égyptienne
et d’un chat ?
Non, il ne s’agit pas d’une relique rapportée d’Egypte par Napoléon,
histoire de faire un pied de nez spatio-temporel à Jean-Marie Le Pen, mais
d’une mystification d’apothicaire.
C’est également par le recours à cette
technique d’imagerie qui permet de recomposer le corps en 3 dimensions à partir
des ossements, qu’on a réussi à reconstituer les traits de la reine d’Egypte Hatshepsout,
et la comparer aux membres de sa famille. Le fragment de la dent cassée, retrouvé
dans un vase portant le nom de la reine à Dar el-Baheiri, le temple qu’elle
avait fait elle-même bâtir à Qurna, sur la rive ouest du Nil, a permis de
l’identifier avec quasi-certitude, le 27 juin dernier.
La fille de Thoutmosis Ier,
demi-soeur et épouse de Thoutmosis II, n’est pas n’importe quelle reine. Celle
qui a régné pendant vingt ans, de 1479 à 1457 av. J.-C., étendant l’influence
de l'Egypte vers le sud, développant le
commerce et les sciences, a été la seule vraie femme pharaon. Elle gouverna
d’abord durant 7 ans en tant que régente à la place de son beau-fils, Thoutmosis
II, trop jeune pour régner, puis elle
troqua sa robe-fourreau et sa couronne de reine contre le pagne
et la barbe postiche, attribut masculin réservé aux pharaons.
Hatshepsout a fait preuve d’un génie politique
remarquable, car sans jamais prendre la place de Thoutmosis III, elle recourut, pour asseoir
sa légitimité de pharaon, à se proclamer fille du dieu Amon, allant même
jusqu’à faire représenter sa cérémonie d’intronisation par les dieux. Auto-pharaonisée, Hatshepsout
s’est même permis le luxe d’avoir fait régner la paix en Egypte, un double
exploit pour une simple femme.
Alors que l’authentification du
pharaon Hatshepsout était rendue officielle, on apprenait qu’une
fillette de douze ans décédait à la suite de l’excision dont elle avait fait
l’objet.
Il semblerait que la dite fatwa,
comme les efforts consentis par les autorités politiques, ne soient pas
suffisants pour endiguer cet autre fléau du Nil, culturel et humain cette fois.
Tant que des médecins obscurantistes continuent de pratiquer impunément ce rite
de mutilation, au nom de Dieu, de la pudeur ou de quelque autre raison
inavouable.
« Mais qui est
prêt, aujourd’hui, à investir plusieurs centaines de millions d’euros pour
combattre l’hépatite en Egypte ? » C’est par ces mots qu’Eric Favereau
concluait son article publié le 13 juillet dans le quotidien Libération, sous
le titre : la onzième plaie d’Egypte.
On construit bien des
tours pharaoniques par ailleurs. En sacrifiant peut-être quelques étages de la
fameuse tour de Dubaï, au profit d’une catastrophe humanitaire, tout aussi pharaonique.
Leïla Babès, le 02/07/2007