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Le blog de Leïla Babès
14 janvier 2008

Pharaonne

Les intégristes, jaloux de la barbe de la Pharaonne

images_hatshepsout

Parmi les nouvelles qui nous sont parvenues durant la semaine qui vient de s’écouler, certaines sont à couper le souffle. Extraordinaire, colossal, démesuré et tragique, tels sont les qualificatifs qui viennent à l’esprit.

Il y a d’abord l’accession d’une femme, Pratibha Patil, âgée 73 ans, à la présidence de l’Inde, pour la première fois dans l’histoire de ce pays, confirmant la tendance qui se dessine nettement depuis quelques années, de l’arrivée des femmes au pouvoir, comme chefs d’Etat ou de gouvernement, mais tout de même, il s’agit de l’Inde. Ensuite, la construction de la plus haute tour du monde dans le petit Emirat de Dubaï, et puis, l’annonce officielle de l’épidémie d’hépatite C qui touche 15 millions d’Egyptiens, soit près d’une personne sur cinq.

Les raisons de cette catastrophe sanitaire sans précédent sont elles aussi à couper le souffle. C’est durant la campagne de vaccination lancée à partir des années 60 pour endiguer cet autre fléau qui ravageait les populations vivant dans le delta du Nil, la bilharziose, que la contamination s’est produite, à cause semble t-il de la réutilisation systématique de seringues non stériles.

Quelle ironie. Les conséquences désastreuses de l’erreur sanitaire, humaine donc, dépassent de loin celles provoquées par les maladies endémiques qui touchent les populations vivant autour du Nil, ce fleuve mythique qui donne la vie et la mort, et dont l’Egypte est un don, comme disait Hérodote.

Quelle ironie aussi que les deux maladies, la bilharziose et l’hépatite C, s’attaquent toutes deux au foie.

Sur un autre versant, la science continue son avancée implacable.

Des équipes pluridisciplinaires travaillant autour de paléo-pathologistes, grâce à la datation au carbone 14, la recherche génétique comme l’ADN, les techniques de modélisation informatique, la parasitologie, l’étude de pollen, et même le recours à des nez de parfumerie, réussissent à authentifier des restes datant de plusieurs siècles et à déterminer avec précision la cause de la mort.

C’est ainsi que la fameuse thèse de l’empoisonnement de Napoléon à l’arsenic, dont les traces ont été retrouvés sur les cheveux, a été sérieusement remise en question par une équipe de pathologistes suisses, canadiens et américains, qui ont démontré grâce à des images numérisées, qu’il est mort à la suite d’un cancer de l’estomac.

Encore faut-il que les restes étudiés soient effectivement ceux du grand homme, puisqu’aucune recherche ADN n’a été menée pour authentifier la dépouille de l’Empereur.

D’autres chercheurs n’ont-ils pas prouvé en avril dernier que les ossements de Jeanne d’Arc, pieusement conservés à Chinon, après qu’ils aient été authentifiés en 1909 par une commission papale, étaient en réalité ceux d’une momie égyptienne et d’un chat ?

Non, il ne s’agit pas d’une relique rapportée d’Egypte par Napoléon, histoire de faire un pied de nez spatio-temporel à Jean-Marie Le Pen, mais d’une mystification d’apothicaire.

C’est également par le recours à cette technique d’imagerie qui permet de recomposer le corps en 3 dimensions à partir des ossements, qu’on a réussi à reconstituer les traits de la reine d’Egypte Hatshepsout, et la comparer aux membres de sa famille. Le fragment de la dent cassée, retrouvé dans un vase portant le nom de la reine à Dar el-Baheiri, le temple qu’elle avait fait elle-même bâtir à Qurna, sur la rive ouest du Nil, a permis de l’identifier avec quasi-certitude, le 27 juin dernier.

La fille de Thoutmosis Ier, demi-soeur et épouse de Thoutmosis II, n’est pas n’importe quelle reine. Celle qui a régné pendant vingt ans, de 1479 à 1457 av. J.-C., étendant l’influence de l'Egypte vers le sud, développant le commerce et les sciences, a été la seule vraie femme pharaon. Elle gouverna d’abord durant 7 ans en tant que régente à la place de son beau-fils, Thoutmosis II, trop jeune pour régner, puis elle troqua sa robe-fourreau et sa couronne de reine contre le pagne et la barbe postiche, attribut masculin réservé aux pharaons.

Hatshepsout a fait preuve d’un génie politique remarquable, car sans jamais prendre la place de Thoutmosis III, elle recourut, pour asseoir sa légitimité de pharaon, à se proclamer fille du dieu Amon, allant même jusqu’à faire représenter sa cérémonie d’intronisation par les dieux. Auto-pharaonisée, Hatshepsout s’est même permis le luxe d’avoir fait régner la paix en Egypte, un double exploit pour une simple femme.

Alors que l’authentification du pharaon Hatshepsout était rendue officielle, on apprenait qu’une fillette de douze ans décédait à la suite de l’excision dont elle avait fait l’objet.

Quel contraste, et quelle régression. Alors que le ministère égyptien de la Santé, comme le Grand Mufti d'Egypte, Ali Goma’a rappelaient l’interdiction de cette coutume barbare, impossible de ne pas penser à ce que j’évoquais dans cette même chronique au mois de novembre dernier, à savoir qu’en dépit de la mobilisation des associations et des pouvoirs publics, il a fallu attendre la fin 2006 pour qu’une dizaine de dignitaires religieux daignent édicter une fatwa pour mettre fin à une coutume pratiquée par près de 95% de la population et dont ils disent enfin qu’elle n’a aucun fondement islamique.

Il semblerait que la dite fatwa, comme les efforts consentis par les autorités politiques, ne soient pas suffisants pour endiguer cet autre fléau du Nil, culturel et humain cette fois. Tant que des médecins obscurantistes continuent de pratiquer impunément ce rite de mutilation, au nom de Dieu, de la pudeur ou de quelque autre raison inavouable.

« Mais qui est prêt, aujourd’hui, à investir plusieurs centaines de millions d’euros pour combattre l’hépatite en Egypte ? » C’est par ces mots qu’Eric Favereau concluait son article publié le 13 juillet dans le quotidien Libération, sous le titre : la onzième plaie d’Egypte.

On construit bien des tours pharaoniques par ailleurs. En sacrifiant peut-être quelques étages de la fameuse tour de Dubaï, au profit d’une catastrophe humanitaire, tout aussi pharaonique.

 

Leïla Babès, le 02/07/2007


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