Eugénisme
La
tentation eugéniste
Par le plus
grand des hasards, l’actualité de cette semaine tombe à point nommé comme un
enchaînement à la chronique précédente. Mais au lieu de « Le Président,
l’Afrique et le racisme », le triptyque pourrait cette fois s’appeler
« Le savant, l’ADN et le racisme ». Pour autant qu’il n’y ait, je
tiens à le préciser, aucun lien direct entre les deux affaires, les propos racistes du prix Nobel de médecine en 1962, l'Américain James
Watson, codécouvreur de la structure de l'ADN, remet en perspective le débat
sur les dérives de l’instrumentalisation politique et idéologique de la science
génétique, dans un contexte marqué par une amplification du
mouvement de contestation contre le vote de la loi sur le regroupement familial
des immigrés.
James Watson,
dont la tournée européenne vient d’être
interrompue, et qui a fait l’objet de plusieurs sanctions, a osé déclarer qu'il
aurait aimé que tout le monde soit égal, mais que « ceux qui ont à traiter
avec des employés noirs savent que ce n'est pas vrai, et que les politiques
sociales se fondent sur le fait que leur intelligence est la même que la nôtre
(Occidentaux blancs), alors (...) que toutes les recherches concluent que ce
n'est pas vraiment le cas ».
Une déclaration raciste qui rappelle, rien de moins
que les sinistres théories nazies, avec en prime cette circonstance aggravante,
qu’elle est le fait d’un prix Nobel de médecine –qui soit dit au passage
devrait lui être retiré-, sous le couvert de la science.
Malgré des excuses publiques, le mal est fait,
d’autant que le « Nobel de racisme », ainsi que l’a surnommé le
quotidien sénégalais « Le Populaire », n’en est pas à sa première
provocation, affirmant par exemple que les femmes devraient avoir le droit
d'avorter dans le cas où l’enfant porte les gènes de l'homosexualité, ou encore
qu'il pouvait y avoir un lien entre la couleur de la peau et les pulsions
sexuelles, comme c’est le cas chez les Noirs qui ont une libido plus développée
que les autres.
Le danger de la recherche génétique, lorsqu’elle est mise
au service d’une idéologie raciste, est que la ligne de démarcation qui sépare
la science de l’eugénisme, cette doctrine qui a pour ambition d’améliorer
l’espèce humaine, -plus précisément selon les critères de la race blanche,
considérée comme supérieure-, est vite franchie.
Ce que Watson n’hésite pas à faire en préconisant la
modification des gènes pour créer des gens plus beaux, déclarant que « Les
gens disent que ce serait horrible si on pouvait faire en sorte que toutes les
filles soient jolies, Moi je trouve que ce serait super ».
Il est à parier que les filles en question
ressembleraient plus à la poupée Barbie qu’à Naomie Campbell.
On pourrait ainsi éliminer les laids, les difformes,
les handicapés, les trisomiques, les attardés, les malades –à la naissance,
bien sûr-, les homosexuels, et pourquoi pas les Noirs, les jaunes, les rouges,
les métis, les gentils, etc… Pour la boutade, un tel scénario risquerait de
devenir très vite monotone, le racisme et la domination n’auraient plus de
raison d’être, et les membres de cette super-race finiraient part s’entretuer.
La vérité est que comme tous les fanatiques adeptes
de l’eugénisme, Watson se prend pour Dieu.
D’une certaine façon, l’eugénisme a toujours existé,
bien avant les découvertes génétiques, et selon les coutumes de tel ou tel
peuple. Comme à Sparte où les handicapés mentaux et
physiques, les faibles et les enfants étaient tués, souvent à la naissance,
pour ne laisser vivre que ceux jugés plus aptes à se reproduire.
Certains peuples de nomades chasseurs, par exemple,
n’hésitaient pas à abandonner les vieillards, considérés comme une charge pour
le groupe, des bouches à nourrir inutiles, en somme. Dans la plupart des
sociétés traditionnelles, et c’est encore le cas aujourd’hui dans de nombreuses
contrées, les handicapés physiques et mentaux étaient rejetés et maltraités.
Les musulmans savent aussi que les Arabes
préislamiques enterraient les petites filles à la naissance. Encore
aujourd’hui, dans de nombreuses sociétés patriarcales, musulmanes ou non, on
préfère les garçons aux filles, pour toutes sortes de raisons : les filles
dispersent le patrimoine, apportent le déshonneur (en Jordanie, elles sont tués
par leurs frères ou leurs cousins), ou alors, elles sont une source de revenu
pour la belle-famille, comme en Inde, où on n’hésite pas à les immoler par le
feu si les parents n’ont pas payé la dot, ou plutôt la rançon.
Dans
le monde moderne, ce n’est plus la coutume qui sert à justifier l’élimination
des faibles, mais la science, depuis que des contemporains de Darwin ont
instrumentalisé sa théorie de l’évolution pour justifier la tentation eugénistes.
Dans
le code pénal français, l’eugénisme est considéré comme un crime contre
l’espèce humaine, et le coupable est puni de trente ans
de réclusion criminelle et de 7 500 000 euros d’amende.
Reste
qu’en France, les questions d’éthique et de bioéthique posent un énorme
problème : la sélection génétique risque t-elle de se substituer à la
thérapie ? La question se pose notamment à propos du dépistage prénatal,
susceptible de conduire à la suppression pure et simple des gènes de la
maladie.
Plus
grave est la tentation d’aller encore
plus loin dans la sélection génétique.
Le danger est d’autant plus grand que la nature
de la relation entre le savant et le politique ne favorise pas une indépendance
et une souveraineté totale pour le premier, la recherche scientifique devant
l’essentiel de ses financements aux pouvoirs publics.
Qu’est-ce
qui pourrait empêcher le politique, le législateur, de se saisir des
découvertes scientifiques pour voter des lois contraires à l’éthique ?
Si même
il était établi que les peuples n’ont pas tout à fait les mêmes gènes, cela
justifie t-il que le politique, sous couvert de la science, établisse des
discriminations ? Ce serait contraire aux droits de l’Homme.
Mais comment défendre les valeurs universelles et
faire en sorte que de telles dérives ne puissent pas avoir lieu ?
Ce sont là les vrais termes du débat qui a cours en
ce moment en France sur le vote de la loi sur les tests ADN, tendant à prouver
qu’un tel est bien le fils biologique d’un tel. Un droit du sang, dans le pays
du droit du sol.
Leïla Babès, le 24/10/2007