Juifs de France
Juifs de
France
La
nomination d’un nouveau président à la tête du CRIF, le Conseil représentatif
des institutions juives de France, survenue il y a quelques jours, est l’occasion
pour nous d’élargir le débat sur la question de la représentation du culte
musulman, en partant du judaïsme, pour tenter de voir en quoi les deux
religions, dans leur inscription dans le droit et leur rapports à l’Etat, leur
traitement de la pluralité interne autant que leurs dysfonctionnements
institutionnels et leur relation ambigüe au pouvoir politique, peuvent être à
la fois similaires et différentes. Pour étendre la question à un cadre
historique plus global, celui de l’avènement de la modernité et de la
sécularisation, -ainsi que son expression institutionnelle, la laïcité, dans le
pays le plus laïque qui soit, pour ne pas dire le pays de la laïcité-, il
conviendrait aussi de s’interroger sur la manière avec laquelle chacune de ces
deux religions, s’est inscrite dans ce processus qui a fondamentalement touché
la religion dominante, l’Eglise catholique, en tant que pouvoir, dans sa
relation historique avec l’Etat séculier.
Au-delà
de ce cadre général de la réflexion, il s’agit d’abord de faire un bref état
des lieux du judaïsme.
Mais
d’abord une première précision, généralement occultée : les Musulmans,
dont on dit et répète inlassablement qu’ils sont divisés, et que ce sont leurs
divergences profondes qui rendent difficiles, et même impossibles leur rassemblement,
ne sont pas seuls dans ce cas. Les Juifs de France, en dépit de l’image
d’unité, d’homogénéité même qu’ils présentent, sont tout aussi divisés, et notamment
sur cette question de la représentation.
Il
y a plusieurs raisons qui peuvent expliquer cette fausse image de l’unité.
Napoléon parachèvera leur émancipation avec la
promulgation du Code civil de 1804, et en 1808, par l’organisation du culte israëlite et
la création du Consistoire.
A cette caractéristique de l’ancienneté
du judaïsme français, consacrée d’ailleurs par le terme d’israélite, plus
moderne et plus séculier, en cela qu’il renvoie davantage à l’inscription de la
confession dans le cadre de la Loi,
même si l’usage de la notion de juif, qui réfère plutôt au groupe ethnique, au
peuple juif, a connu un renouveau par la suite, s’ajoute la dimension
proprement libérale et laïque, du judaïsme français, inscrit en quelque sorte
dans le processus de modernisation de l’Etat. Ce n’est pas un hasard si le
culte israélite de France compte une femme rabbin, une ouverture peu banale
pour une religion qui ne reconnaît traditionnellement aucun rôle à la femme
dans l’exercice de la cléricature. Dans le cas de l’islam, une telle ouverture
reste pour l‘instant de l’ordre de l’utopie.
Par opposition à l’islam de France,
marqué par son origine migratoire, son émergence récente en tant que marqueur
identitaire, son poids démographique, -les Juifs comptent à peine moins d’un
million-, la propension de ses organisations à revendiquer une reconnaissance
officielle-, le judaïsme français est loin de susciter, comme c’est le cas pour
l’islam, l’engouement des médias.
Contrairement à l’islam, le judaïsme est
perçu comme endogène, établi, partageant même une proximité biblique avec la
religion dominante, le christianisme. Il n’est pas rare d’ailleurs qu’on parle
de judéo-christianisme, un peu comme si le christianisme s’était figé dans sa
dimension primitive de réforme judaïque, ce qui ne va pas sans déplaire à ceux
parmi les chrétiens et les juifs, plus soucieux de préserver leur
particularisme.
Le sentiment de culpabilité lié à
l’histoire honteuse de Vichy et au sort des Juifs durant la seconde guerre
mondiale, n’est sans doute pas étranger à ce désir d’étendre l’oeucuménisme, le
dialogue intra-chrétien, vers une religion considérée désormais comme la source
du christianisme.
Quoiqu’il en soit, les clivages et les
divisions internes existent bel et bien : entre Juifs de souche,
Ashkénazes d’Europe centrale, et Sépharades originaires d’Algérie, ces derniers
apportant un nouveau dynamisme démographique et religieux, allant même jusqu’à
imiter les courants ashkénazes Ultra-orthodoxes et Loubavitch en adoptant leur rigorisme en matière d’observances,
entre laïcs et religieux conservateurs, entre organisations confessionnelles et
militantes, et enfin concurrence entre le consistoire, organe du culte et le
CRIF, créé en 1943, une fédération de 64
associations, plus politisée que le Consistoire, même si la division du travail
entre les deux instances n’est pas toujours très claire.
On voit donc qu’en dépit de son
enracinement national, sa faiblesse numérique et la nature officielle de ses
fondations –des spécialistes du judaïsme n’hésitent pas à soutenir que la
communauté juive est une création de l’Etat- le judaïsme français connaît les
mêmes dissensions que l’islam : idéologiques, politiques, culturelles,
identitaires. On retrouve d’ailleurs ces mêmes clivages en Israël, dans des
proportions plus graves, si l’on considère la situation particulière de ce
pays, la nature religieuse de son Etat et le poids plus important des courants
radicaux.
Sur cette question particulière des
divisions, ou plutôt de la pluralité interne des courants, ce qui est une
manière plus positive de dire les choses, -car après tout le pluralisme, en
tant que diversité reconnue, acceptée et protégée comme exercice de la liberté
de conscience, est le propre d’une société sécularisée régie par un Etat de
droit, ce qui distingue les Musulmans des juifs de France, c’est que ces
derniers ne font pas un étalage public de leurs divergences, sans doute parce
que se vivant à la fois comme ethnie, c’est-à-dire comme religion de peuple,
non prosélyte, et comme groupe minoritaire, les juifs ont fait de la culture du
secret une condition de survie.
Un autre trait distinctif est le type de
loyauté inter-confessionnel. Les Musulmans de France peuvent être soupçonnés
d’entretenir des relations coupables avec leurs pays ou leurs Etats d’origine,
de témoigner leur solidarité avec les Musulmans du monde entier, -sur ce point
précis, les catholiques ne sont pas différents-, ou avoir des liens encore
moins avouables avec des Etats dits islamiques, des organisations islamistes
mondiales ou encore des réseaux extrémistes. Dans le cas de l’islam, les
appartenances et solidarités peuvent être à la fois partielles, variées,
diffuses et disséminées. Mais il n’existe dans ce cas aucun rapport similaire à
celui qui lie les Juifs –dans leur majorité à l’Etat d’Israël. Je ne parle pas
là du lien affectif, identitaire, ni même de la solidarité avec ce pays avec
lequel tout juif peut s’identifier, mais de l’ambiguïté de la double allégeance. La
défense de l’Etat d’Israël, et l’amélioration de l’image de celui-ci dans les
médias est d’ailleurs l’un des objectifs du CRIF.
Mais plus troublant encore, sont les engagements
pris il y a 3 ans, par les deux organisations, le CRIF comme le Consistoire,
auprès du gouvernement israélien, pour encourager l’émigration de Juifs
français vers Israël, arguant des actes antisémites commis durant cette période
par des jeunes Arabes. Dégarnir la communauté juive de France pour renflouer un
pays font les habitants ont été chassés, est une manière à peine subtile de
faire de la purification ethnique, et un manquement certain de loyauté envers la France. Une dérive que de
nombreux français d’appartenance ou de confession juive dénoncent
régulièrement, avec courage.
Leïla Babès le 16/05/2007