Y a t-il encore une Belgique ?
Y a-t-il encore une Belgique ?
La crise qui secoue actuellement la Belgique appelle
la même question que je posais dans les chroniques précédentes à propos de
l’Irak : Y a-t-il encore une Belgique ?
Quel rapport, pourrait-on objecter, entre ces deux
pays ? A priori, aucun. L’un est européen, et pas le moindre, membre du
Benelux, de l’Otan, et de l’Union
européenne, dont il est l'un des six pays fondateurs, l’autre est arabe et
kurde, asiatique, et musulman, et par-dessus tout occupé, en guerre, après avoir
subi des décennies de dictature.
Aucun rapport, disais-je, à part celui d’être l’un et
l’autre conçus comme des Etats fédéraux.
A bien des égards, et pour autant que le petit
pays voisin de la France nait rien à envier à l’Irak, sa situation n’en est pas
moins sérieuse, et on est même tenté de surenchérir : la Belgique a-t-elle
jamais existé ?
Voilà un pays qui ne parvient pas à se doter d’un
gouvernement, Yves Leterme, le leader flamand, dont le parti a remporté les
élections législatives ayant échoué dans cette tâche, faute d’avoir pu
réconcilier les deux communautés qui composent la Belgique : les 40% de
francophones de qui occupent le sud, en Wallonie, et les 60% de Flamands qui
occupent le Nord du pays, avec une capitale au statut problématique, Bruxelles,
en majorité francophone, mais enclavée en pleine Flandre.
Deux communautés qui ne se comprennent pas, c’est
d’ailleurs le concept approprié qui désigne les deux administrations, deux
identités, deux langues, et des revendications indépendantistes des Flamands,
ou tout au moins d’une partie d’entre eux.
Rien ne semble vouloir réconcilier ces deux
communautés, pas même le roi, le seul symbole de l’unité, si tant est que
celle-ci ait jamais existé, depuis qu’un duc Allemand, appelé à la rescousse en
1830, est devenu Léopold 1°, le premier roi belge.
On
comprend que face à un tel blocage politique et à l’incapacité de constituer un
gouvernement de coalition, le roi ait décidé de suspendre les négociations
entre les différentes formations.
Le pays est censé être bilingue, ce qui veut dire que
les deux langues sont enseignées, et que les uns et les autres se comprennent,
du moins communiquent entre eux, , les flamands parlant français et les
francophones le néerlandais.
Mais rien n’est moins sûr. Les hommes politiques
francophones parlent un Flamand pitoyable, et les Flamands ne parlent pas
français, ou pire, connaissent cette langue, mais refusent de la parler. Il
suffit de rappeler ce geste incroyable commis le mois de juillet dernier par le
leader Flamand, celui-là même qui était chargé de constituer un gouvernement,
lorsque le jour de la fête nationale, prié d'entonner l'hymne du pays, La Brabançonne, il a chanté la
Marseillaise !
Il est vrai que la Brabançonne, écrite d’abord en
français mais qui existe en néerlandais et en allemand, est peu connue des
Belges. Mais on imagine mal comment le leader flamand, qui n’en était pas à sa
première provocation à l’endroit des francophones, pouvait confondre l’hymne de
son pays –qu’il se préparait à gouverner-, avec l’hymne français.
Au clivage linguistique et politique –les partis
francophones sont de centre-gauche et les partis flamands sont de droite, et
même débordés par l’extrême droite-, s’ajoute un fédéralisme aux frontières floues,
frontières qui ne sont pas seulement réelles, géographiques, mais aussi
politiques et économiques.
Même le
monde universitaire porte en lui les stigmates de l’antagonisme, comme en 1968
lorsque l’université de Leuven, alors en terre flamande, s’est coupée en deux,
avec les flamands d’un côté, et les francophones, déplacés de l’autre côté de
la frontière linguistique, dans ce qui allait devenir l’université catholique
de Louvain.
Le conflit
identitaire finira signifie t-il pour autant que les Belges n’ont plus de
volonté de vire-ensemble ?
Si on en croit le sondage publié le 26 août dans le
quotidien belge La Dernière Heure,
ce n’est pas le cas, puisque sept Belges sur dix pensent que leur pays « a encore un avenir à long
terme ».
Ils seraient même 82,5 % parmi les jeunes à y croire.
Un optimisme malheureusement démenti par un autre sondage qui révèle que près
de 40% de Flamands et 12 % de Wallons sont partisans de l’indépendance de la
Wallonie et de la Flandre.
Que conclure de tout ceci ? D’abord rappeler que
ce ne sont pas les différences qui créent les antagonismes, comme veulent bien
le faire croire les partisans du choix archaïque, anachronique même, selon
lequel les peuples doivent vivre entre eux, avoir les mêmes origines, la même
langue, et la même religion. Un tel scénario, fondé sur le rapport des forces
entre les communautés, intransigeant face à toute idée de pluralisme, est
dangereux.
Un cas de figure malheureusement si fréquent, et que
tant de fanatiques brandissent, d’autant plus efficace qu’il est simple et qu’il
évite de réfléchir, en désignant aux peuples l’autre différent comme la source
de tous les problèmes.
Comparé à l’Irak, le cas belge apporte un éclairage
instructif. En dépit de la guerre et du conflit soi-disant ethnico-religieux,
il y a, il y a toujours eu du vivre-ensemble chez les Irakiens, quelles que
soient leurs appartenances. Et à supposer qu’il y ait du bon dans le système
fédéral mis en place –et il n’y en a pas parce qu’il se fonde sur les clivages
ethniques et religieux, ainsi que l’ont voulu les Américains-, mais à supposer
qu’il en sorte du bien, ce ne sera qu’à la condition que les Irakiens
réapprennent à penser leur unité et les valeurs qui la fondent, par-dessus tout, la mettent au dessus de
toutes les différences.
Une leçon de l’histoire, que les Belges n’ont pas su
apprendre.
Leïla Babès, le 05/09/2007