La laïcité à la française a t-elle vécu ?
Le
Figaro
Actualisé le 09 avril
2007 : 12h49
Leïla
Babès, La laïcité à la française a-t-elle vécu ?
Poser la
question en ces termes suggère qu'il s'agit là d'une expérience particulière de
séparation entre l'Église et l'État, un exemple parmi d'autres. La formulation
peut même laisser entendre que le modèle est critiquable, justiciable d'une
remise en question. Et il l'est. Pas simplement en Europe, mais en France même,
y compris par des laïcs qui se laissent prendre au piège de la culpabilité, à
la honte d'appartenir à une tradition jugée « trop » radicale, « trop » singulière,
« trop » ignorante des préoccupations identitaires. Bref, la France serait non pas
laïque, mais laïciste. En vérité,
en voulant nous faire peur, toute cette vulgate en est venue à banaliser le
procès de la laïcité. C'est d'autant plus efficace lorsqu'on oppose au modèle
une laïcité « ouverte », « humaine », « plurielle ». Il va sans dire que les
candidats à ces réformes seraient bien en peine de nous expliquer de quoi il
retourne et ce que signifient concrètement ces vagues formules. Ignorance des
significations réelles de la laïcité ou militance antilaïque ? À coup sûr, les
deux explications sont valides et jouent de pair. Comme dans cette manie
détestable de traduire le concept en « isme », la valeur en scénario du pire,
l'incompréhension du principe côtoie le désir d'en découdre et la nostalgie du
tribalisme. Confusionnisme,
déconstructivisme à tout va et surenchère, voilà qui résume en trois mots la
fronde, ou plutôt le front des antilaïques. La contestation est parfois
directe, mais la plupart du temps sournoise. Lorsqu'elle n'est pas accusée de
porter atteinte à la « liberté religieuse », la République laïque est
interpellée sur le bien-fondé de son modèle d'intégration ou sa politique
néocolonialiste à l'égard de ses « indigènes ».
Mais voilà
qu'à ceux qui rêvent d'une République fourre-tout, une coquille vide destinée à
accueillir à bras ouverts ces « pestes communautaires » que sont les identités
collectives lorsqu'elles investissent l'espace public, d'autres opposent ses
valeurs comme un privilège civilisationnel hérité de la culture chrétienne.
Curieux chassé-croisé que ce nouveau pacte imaginaire entre la laïcité et le
catholicisme lorsqu'on se souvient que les anticléricaux croyaient dur comme
fer que celle-ci ne pouvait se construire que contre celui-là.
L'État
laïque n'est ni pour ni contre telle ou telle identité religieuse, il est tout
simplement dans cet ailleurs qui est à la fois extérieur par indifférence -
sauf en tant que garant de la liberté de l'exercice du culte, et non de la «
liberté religieuse » -, et supérieur par la prévalence de sa loi. C'est cela
qui garantit la paix civile dans une société pluraliste. C'est pourquoi toute
ambiguïté, toute confusion sur les rôles respectifs de l'État et des religions,
surtout lorsque celles-ci sont déplacées du cadre confessionnel tel qu'il est
défini par la loi vers le terrain conflictuel des identités, ne peuvent être
que dangereuses.
Évidemment,
la laïcité « à la française » est une exception. Serait-ce en soi une faute ?
Dans le fond, à quelle autre laïcité pourrions-nous nous référer ? Peut-on être
un peu, modérément, excessivement laïc ? Les deux sphères sont séparées ou ne
le sont pas. La laïcité est d'abord une affaire d'État. Ensuite, elle est un
contrat qui engage l'ensemble de la communauté. Elle n'est pas une alternative,
une option, une opinion personnelle. Elle est un cadre de loi, la traduction
institutionnelle d'un processus de sécularisation qui a touché l'ensemble des
sociétés modernes.
Il n'y a
pas de laïcité à la française car la laïcité est française. Il n'y a pas de
honte à le reconnaître. Cela empêche-t-il qu'elle soit porteuse d'universalité
? Au contraire. Le propre d'un État laïque est d'être neutre, au-delà des
religions comme différences. Sans distinction, sans discrimination ni
favoritisme, sans relativisme. Et c'est parce qu'il se place dans cet « au-delà
» qui transcende les particularismes religieux qu'il est fédérateur et le seul
garant de l'unité fondée sur l'adhésion de tous les citoyens aux valeurs
centrales.